Les techniques envisagées pour limiter, voire stopper le réchauffement climatique reposent généralement sur deux approches différentes : l’élimination du dioxyde de carbone de l’atmosphère (responsable de l’effet de serre) ou bien le contrôle du rayonnement solaire (de manière à réduire la quantité de chaleur qui parvient jusqu’à la Terre). C’est dans cette seconde catégorie qu’entre la solution proposée par une équipe de chercheurs américains : leur projet consiste à produire des nuages bas blancs et brillants, qui réfléchissent davantage de lumière solaire.
En matière de géo-ingénierie — un concept qui désigne l’ensemble des techniques visant à modifier le climat et l’environnement de la Terre — les idées fusent depuis quelques années : des dispositifs pour capturer directement le dioxyde de carbone de l’air, à l’installation de couvertures géantes sur les glaciers pour les protéger du soleil, en passant par un véritable « parasol spatial » positionné en orbite au point de Lagrange L1, entre la Terre et le Soleil, les scientifiques imaginent toutes sortes de projets pour limiter le réchauffement.
Le dernier rapport du GIEC a conclu, sans trop de surprises, que « le changement climatique se généralise, s’accélère et s’intensifie ». Il s’avère aujourd’hui que les mesures et dispositifs mis en place pour éliminer le CO2 de l’atmosphère peinent à contrebalancer les émissions de gaz à effet de serre, toujours plus nombreuses. Par conséquent, il devient quasi inévitable de recourir à des solutions plus extrêmes, qui consistent à agir directement sur le rayonnement solaire. Selon Roger Angel, astronome à l’Université de l’Arizona, il « suffirait » de stopper 1,8% du rayonnement solaire pour compenser les effets de la concentration en CO2 dans l’atmosphère.
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Produire des aérosols à partir d’eau de mer
Protéger la planète avec une couche nuageuse blanche et brillante, c’est la nouvelle solution proposée par une équipe de chercheurs de l’Université de Washington, du Palo Alto Research Center et de la Pacific Northwest National Library. Cette solution repose sur une approche de géo-ingénierie théorique baptisée Marine Cloud Brightening Project — une collaboration internationale de scientifiques qui vise à mieux comprendre l’impact des aérosols sur les nuages.
Les particules d’aérosol sont omniprésentes dans l’atmosphère ; elles proviennent de nombreuses sources, à la fois naturelles (poussières, émissions biologiques, embruns) et humaines (moteurs à combustion, centrales électriques à combustibles fossiles). Au fur et à mesure que ces particules se mélangent aux nuages bas — en particulier au-dessus de l’océan — elles modifient leurs propriétés : elles contribuent en effet à condenser l’humidité en fines gouttelettes, rendant ainsi les nuages plus réfléchissants et augmentant leur capacité à renvoyer le rayonnement solaire vers l’espace.
L’idée est simple : si les nuages réfléchissent davantage de lumière solaire, ils absorbent moins de chaleur ; par conséquent, si le ciel était constellé de ces nuages, ces derniers pourraient en théorie aider à refroidir la Terre. Les chercheurs se sont en réalité inspirés des nuages blancs et brillants produits par les émissions des navires, qui entraînent un effet de refroidissement via des processus atmosphériques qui se produisent naturellement. Le but était dès lors d’obtenir le même phénomène, mais sans libérer les gaz et autres polluants émis par les navires. C’est pourquoi ils envisagent de créer des nuages plus brillants, de manière artificielle, en pulvérisant des particules microscopiques dans le ciel.
Cette approche présente plusieurs avantages, à commencer par la gratuité et l’abondance de la matière première nécessaire pour générer les aérosols : l’eau de mer. Celle-ci se compose en outre de substances complètement inoffensives pour l’environnement, dont la plupart seraient renvoyées dans l’océan une fois les essais terminés. Le processus serait mis en œuvre directement au niveau de la mer et ne nécessiterait donc pas l’usage d’engins aériens — ce qui réduirait significativement les coûts et les émissions associés au projet.
Une solution sans danger, mais temporaire
Dans l’ensemble, la solution semble donc très prometteuse et comporte peu de risques ; elle est désormais considérée comme l’une des approches potentiellement réalisables de l’intervention climatique. Mais plusieurs étapes restent à valider avant de réaliser les premiers essais, qui permettront d’évaluer son efficacité. Les chercheurs doivent avant tout s’assurer qu’il est possible d’augmenter de manière fiable et prévisible la réflectivité des nuages générés artificiellement.
Il est également essentiel de s’assurer que l’adjonction d’aérosols n’aura aucune conséquence néfaste inattendue, tant au niveau local que mondial ; pour cela, plusieurs modélisations seront nécessaires pour examiner l’impact de ce projet sur le climat. Enfin, reste à développer un système de pulvérisation capable de produire la taille et la concentration de particules nécessaires pour augmenter la luminosité locale des nuages bas. La fiche de présentation du projet précise que chaque phase sera examinée par des « autorités indépendantes », afin de s’assurer que la technologie ne nuit pas à l’atmosphère. Le projet Marine Cloud Brightening comprendra une série d’expériences à petite échelle dans lesquelles le nombre de particules et la chimie seront contrôlés sur des zones limitées.
À noter qu’une initiative similaire a d’ores et déjà été testée sur le terrain, dans le cadre d’un programme de préservation et de restauration de la Grande Barrière de Corail. Une équipe de recherche dirigée par le Sydney Institute of Marine Science et la Southern Cross University a testé avec succès la première technologie mondiale d’« éclaircissement des nuages », visant à diminuer la température de l’océan et ainsi préserver les coraux et tout l’écosystème qui en dépend. Pour Daniel Harrison, le directeur de ces recherches, les risques de bouleversement climatiques liés à cette approche sont négligeables tant qu’elle reste limitée à une zone géographique restreinte.
Néanmoins, même si ces solutions s’avèrent efficaces et sans danger, beaucoup soulignent qu’il ne s’agit que de « rustines » appliquées sur un problème majeur, qui ne sera en aucun cas résolu de cette manière.