L’objet en question est ce que les experts nomment une « source X ultralumineuse », soit un objet extrêmement lumineux dans la gamme des rayons X, mais qui n’est pas un quasar. Des observations réalisées avec le NuSTAR (Nuclear Spectroscopic Telescope Array) de la NASA montrent que cette source, baptisée M82 X-2, défie véritablement les lois de la physique : sa luminosité est telle qu’elle ne devrait même pas exister. Des chercheurs apportent une explication à ce phénomène.
La luminosité des objets célestes d’une taille donnée est limitée par une certaine valeur, appelée « limite d’Eddington », au-delà de laquelle la pression de rayonnement devient plus importante que la gravité. En effet, les photons exercent une légère pression sur les objets qu’ils rencontrent. Si un objet émet une importante quantité de lumière par mètre carré, la poussée des photons vers l’extérieur peut l’emporter sur l’attraction de la gravité de l’objet vers l’intérieur ; l’objet explose alors en morceaux. Cependant, les sources X ultralumineuses (ULX) dépassent régulièrement cette limite de 100 à 500 fois !
Pendant longtemps, les scientifiques ont pensé que leur luminosité était probablement surestimée, à cause d’une sorte d’illusion d’optique. Mais de nouvelles observations, réalisées à l’aide du NuSTAR, confirment que cela n’est pas le cas : les chercheurs ont montré que l’une de ces sources, M82 X-2, dépasse véritablement la limite d’Eddington. Comment ? Grâce à son champ magnétique particulièrement intense, qui contribuerait à maintenir la cohésion entre ses atomes. « Ces observations nous permettent de voir les effets de ces champs magnétiques incroyablement puissants que nous ne pourrions jamais reproduire sur Terre avec la technologie actuelle », a déclaré Matteo Bachetti, astrophysicien à l’Observatoire de Cagliari de l’Institut national d’astrophysique en Italie et auteur principal de l’étude décrivant le phénomène.
Un objet dévorant l’équivalent de 1,5 Terre chaque année
Lorsqu’un objet a atteint la limite d’Eddington, la lumière qu’il émet repousse théoriquement tout gaz ou autre matière tombant vers lui. Ainsi, la matière qui tombe sur une ULX est à l’origine de sa luminosité — à l’instar de ce que les scientifiques observent aux abords des trous noirs, où la matière attirée par leur forte gravité s’échauffe, puis est éjectée sous forme de jets très lumineux. Les astrophysiciens pensaient d’ailleurs que tous les ULX étaient probablement des trous noirs.
En 2014, des données collectées par le NuSTAR ont toutefois révélé que l’une de ces sources mystérieuses, M82 X-2, était non pas un trou noir, mais une étoile à neutrons (plus précisément, un pulsar) — soit un objet beaucoup moins massif. Les étoiles à neutrons résultent de l’effondrement gravitationnel de certaines étoiles massives (qui sont à la fois trop grandes pour se transformer en naine blanche et trop petites pour donner naissance à un trou noir). Ce sont des objets extrêmement denses : ils contiennent l’équivalent de la masse du Soleil dans un volume de seulement 20 à 40 kilomètres de diamètre.
Cette densité extrême génère une attraction gravitationnelle en surface environ 100 billions de fois plus forte que la gravité terrestre ! Par conséquent, tout gaz ou autres matériaux attirés à la surface de cette étoile, accélérés à des millions de kilomètres par heure, auront un effet explosif. « Un marshmallow lâché à la surface d’une étoile à neutrons la frapperait avec l’énergie d’un millier de bombes à hydrogène », précise la NASA. Ces « chutes de matière » sont à l’origine des rayons X de haute énergie détectés par NuSTAR.
La luminosité extrême de M82 X-2 suggère qu’elle absorbe énormément de matière. « La décroissance orbitale observée est compatible avec le transfert de masse d’une étoile donneuse plus massive vers une étoile à neutrons », écrivent les chercheurs. Les dernières observations ont révélé que cette étoile « vole » chaque année environ 9 milliards de billions de tonnes de matière à une étoile voisine — soit l’équivalent de 1,5 Terre.
Une masse suffisante pour expliquer sa luminosité
L’équipe a pu estimer le transfert de masse grâce à la mesure précise de la décroissance orbitale de M82 X-2, obtenue à partir des données collectées par le NuSTAR pendant sept ans. Connaissant la quantité de matière qui frappe la surface de M82 X-2, les chercheurs ont pu estimer la luminosité théorique de cette ULX : leurs résultats correspondent aux mesures indépendantes de sa luminosité. « La masse dont dispose l’accréteur est plus que suffisante pour justifier sa luminosité », concluent-ils.
Il ne s’agit donc pas d’une mauvaise interprétation de luminosité due à une quelconque illusion d’optique ; cette théorie soutenait que des vents forts formaient un cône autour de la source lumineuse, concentrant la majeure partie de l’émission dans une seule direction. S’il était pointé directement vers la Terre, cela pouvait donner l’impression que l’ULX dépassait la limite d’Eddington.
Si les nouveaux résultats permettent d’écarter cette théorie, il se passe bel et bien quelque chose sur M82 X-2 qui lui permet d’enfreindre cette limite. L’équipe suggère que les champs magnétiques puissants — qui caractérisent les étoiles à neutrons — pourraient déformer les atomes, leur donnant une forme plutôt allongée et filiforme. Ceci pourrait augmenter leur cohésion et réduire ainsi la capacité des photons à les repousser, augmentant ainsi la luminosité maximale possible de l’objet.
Ces puissants champs magnétiques sont des milliards de fois plus puissants que les aimants les plus puissants jamais fabriqués sur Terre ! Cette théorie ne pourra donc être vérifiée qu’à l’aide d’observations supplémentaires. « C’est la beauté de l’astronomie… Nous ne pouvons pas vraiment mettre en place des expériences pour obtenir des réponses rapides ; nous devons attendre que l’Univers nous montre ses secrets », conclut Matteo Bachetti.