Les systèmes binaires d’étoiles à neutrons sont de merveilleux outils d’étude en astrophysique. L’année dernière, la collision de deux de ces étoiles a permis la détection et l’étude des ondes gravitationnelles prédites par la relativité générale. Plus récemment, les scientifiques ont pu confirmer que l’événement avait également été à l’origine d’un jet astrophysique relativiste présentant, à l’observation, un mouvement supraluminique.
Le 17 août 2017, la fusion de deux étoiles à neutrons — baptisée GW170817 — s’est révélée être une source d’informations extrêmement riche pour l’astrophysique multi-messager grâce à la détection d’ondes gravitationnelles par les interféromètres LIGO et Virgo. Dans le même temps, plus de 70 observatoires et télescopes ont également suivi l’événement, en se tournant attentivement vers la galaxie NGC 4993 située à 130 millions d’années-lumière de la Terre.
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Les observations se sont déroulées dans l’ensemble du spectre électromagnétique (ondes radio, rayons X, rayons gamma et spectre visible). Grâce à un réseau de radiotélescopes utilisant l’interférométrie à très longue base (VLBI pour Very Long Baseline Interferometry), une équipe internationale d’astrophysiciens a pu détecter l’émission d’un jet relativiste accompagnant ordinairement le sursaut gamma produit lors de ce type de collision. Les résultats de l’observation ont été publiés dans la revue Nature.
En se basant sur les observations menées 75 jours après la fusion, puis encore 230 jours après, les chercheurs se sont aperçus qu’une région de l’émission radio s’était déplacée à une telle vitesse qu’un jet relativiste ne pouvait être que la seule explication.
« Nous avons mesuré une vitesse apparente quatre fois supérieure à celle de la lumière » explique Kunal Mooley, astrophysicien au Caltech. « Cette illusion, appelée mouvement supraluminique, se produit lorsque le jet est dirigé vers la Terre et que les particules de ce dernier se déplacent à une vitesse relativiste ».
En juin, des simulations informatiques ont montré que ce jet devrait se propager à un angle de 30° par rapport à la Terre. Il serait globalement fin, ce qui expliquerait la faible intensité du sursaut gamma émis simultanément. Cet angle de vue devrait donc le rendre difficile à observer depuis la Terre. Et selon les données nouvellement acquises, ces prédictions informatiques se sont révélées relativement correctes.
« Selon nos analyses, ce jet est effectivement probablement très fin, d’une largeur maximale de 5°, et se déplaçait d’un angle de 20° seulement en direction de la Terre » indique Adam Deller, astrophysicien à l’université de technologie Swinburne (Australie). « Mais pour correspondre à nos observations, les particules du jet doivent également se propager à une vitesse de plus de 97% de celle de la lumière ».
Lorsque les étoiles à neutrons sont entrées en collision, un nuage de matière baryonique (gaz, poussière, particules) s’est formé autour de l’épicentre de l’événement. Le nouvel objet résultant de la fusion des étoiles à neutrons qui s’est formé au sein de ce cocon de débris — une étoile à neutrons très massive ou un trou noir — aurait gravitationnellement attiré la matière périphérique, débouchant sur la formation d’un disque d’accrétion.
Mais les émissions électromagnétiques post-fusion se sont révélées inhabituelles. Elles n’ont été produites que tardivement, environ 150 jours après la fusion, puis ont ensuite rapidement cessé.
Les scientifiques ont avancé plusieurs hypothèses. L’une d’elle suggérait un jet qui s’était retrouvé piégé par les débris, tandis qu’une seconde hypothèse proposait, elle, un jet qui avait réussi à traverser les débris en dispersant leur énergie.
Les données acquises par les astrophysiciens ont montré qu’il s’agissait en réalité probablement d’une combinaison de ces deux scénarios. Le jet a initialement repoussé la coque de débris en périphérie, générant un cocon de matière en expansion. Mais puisque ce cocon ne se propageait pas aussi vite que le jet, ce dernier a finalement réussi à s’échapper. Selon les observations, jusqu’à 60 jours après la fusion, c’est cette coque de matière qui dominait les émissions radio. Passés ces 60 jours, le jet a pris la relève.
Cette découverte est importante car elle permet de mettre en lumière l’intime connexion entre les fusions d’étoiles à neutrons et les sursauts gamma courts. « La fusion a été importante pour de nombreuses raisons, et continue de surprendre les astrophysiciens en livrant toujours plus d’informations » révèle Joe Pesce, astrophysicien au National Radio Astronomy Observatory (NRAO).
« Les jets sont des phénomènes mystérieux observés dans de nombreux environnements. Maintenant, ces observations spectaculaires réalisées dans le domaine radio fournissent de précieux indices les concernant, et nous permettent de mieux comprendre la manière dont ils fonctionnent » conclut Pesce.