Intrication quantique : observation du pilotage d’Einstein-Podolsky-Rosen dans un nuage atomique

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| MARK GARLICK/SCIENCE PHOTO LIBRARY/Getty Images
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L’intrication quantique fait partie des phénomènes les plus mystérieux mais aussi les plus plus étudiés de la mécanique quantique. Cette « action fantomatique à distance », comme la décrivait Albert Einstein, s’avère extrêmement prometteuse pour le développement de technologies futures comme l’informatique quantique, l’imagerie ultra-haute résolution ou encore la métrologie quantique. Récemment, trois équipes de chercheurs sont parvenus à la même découverte : observer le phénomène de pilotage d’Einstein-Podolsky-Rosen entre deux régions d’un nuage d’atomes spatialement séparées. 

Deux particules intriquées ne forment plus qu’un système unique et solidaire partageant la même fonction d’onde : la mesure sur l’une des particules entraîne instantanément la mesure de l’autre. L’intrication quantique est confirmée expérimentalement depuis plusieurs années et d’importantes avancées ont été effectuées en ce sens, du record de distance d’intrication entre deux photons jusqu’à l’établissement d’une intrication macroscopique.

Les applications potentielles de ce phénomène sont multiples. L’intrication autorise, par exemple, la téléportation quantique, permettant de réaliser des protocoles de transfert d’un état quantique d’une particule à une autre ; un tel mécanisme pourrait servir à l’établissement d’un réseau Internet quantique planétaire. Des particules intriquées peuvent également s’arranger en registre quantique (collection de bits quantiques ou qubits) afin de stocker de très grandes quantités d’informations à très grande vitesse. La sensibilité d’un système intriqué à toute perturbation, notamment à la mesure, en fait un excellent protocole de cryptographie. L’intrication quantique peut aussi servir à réaliser de l’imagerie à ultra-haute résolution, comme le développement d’un radar quantique qui détecterait les aéronefs camouflés.

Le potentiel de l’intrication quantique est donc virtuellement illimité. Cependant, sa réalisation expérimentale est souvent complexe. Dans les techniques actuelles, les particules sont produites et intriquées individuellement (via un laser passant à travers un dispositif optique) ; les particules individuelles sont difficiles à détecter et à isoler précisément, d’autant plus qu’une fraction de celles-ci est souvent noyée dans le bruit de grenaille (bruit quantique de fond) ou tout simplement perdue dans le circuit de détection. Mais cet écueil est peut être sur le point d’être solutionné. Trois équipes de physiciens ont en effet réussi à intriquer tout un nuage d’atomes (plusieurs milliers), à le séparer et à maintenir l’intrication entre les deux parties. Les résultats de la découverte ont été publiés dans la revue Science.

Les chercheurs ont tout d’abord commencé par créer un nuage d’atomes refroidit à une température proche du zéro absolu. Dans un tel état, ce système forme un condensat de Bose-Einstein (CBE). Prédit pour la première fois par Einstein dès 1925, le premier condensat gazeux est créé en 1995 par les physiciens Eric Cornell et Carl Wieman, ce qui leur vaudra, en 2001, le prix Nobel de physique. Un condensat de Bose-Einstein est un état de la matière dans lequel tous les atomes se comportent comme des bosons et occupent un état fondamental de plus basse énergie, affichant ainsi un comportement « collectif ». L’intérêt d’un CBE est qu’il permet d’intriquer tous les atomes d’un système en une seule fois.

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Protocole expérimental utilisé : un condensat de Bose-Einstein est créé à partir d’un nuage atomique. Puis celui-ci se dilate et s’étend dans l’espace, l’intrication quantique est redistribuée dans toutes les zones du nuage. Puis des mesures sont effectuées sur plusieurs régions spatialement séparées. Celles-ci ont révélé que l’intrication était maintenue et que chaque atome pouvait être manipulé individuellement. Phénomène connu sous le nom de pilotage d’Einstein-Podolsky-Rosen. Crédits : Philipp Kunkel & al

Ensuite, les physiciens ont « sorti » le nuage atomique de sa cavité de confinement pour le laisser se dilater et s’étendre dans l’espace. L’intrication a donc été redistribuée dans les différentes zones du nuage. Puis, des mesures locales ont été effectuées sur plusieurs parties spatialement séparées. Se faisant, les chercheurs ont découvert que non seulement l’intrication était maintenue entre toutes les zones, mais qu’en plus il était possible de manipuler individuellement chacun des atomes intriqués. En mesurant une région spatiale du nuage, il est possible de prédire le résultat de la mesure d’une autre région concernant des observables non-commutatives, avec une incertitude inférieure au seuil fixé par le principe d’indétermination d’Heisenberg. Ceci constitue la première observation expérimentale d’un phénomène connu sous le nom de « pilotage d’Einstein-Podolsky-Rosen » (pilotage EPR).

Une telle découverte pourrait mener à la réalisation de registres quantiques comprenant un très grand nombre de particules et donc de qubits ; le record actuel étant de 20 qubits. Cela pourrait entre autre permettre le développement d’une nouvelle métrologie quantique, améliorant considérablement la sensibilité de mesure des appareils. Le pilotage EPR pourrait ainsi conduire à la réalisation d’horloges atomiques plus précises ou encore affiner la sensibilité de détection des IRM. Si un long travail est encore nécessaire pour manipuler pleinement le potentiel de l’intrication quantique, cette découverte constitue une véritable avancée en ce sens.

Sources : Science (1, 2, 3)

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