En 1931, le physicien soviétique Yakov Frenkel introduit le concept d’excitons pour décrire le comportement des atomes excités dans le réseau d’un matériau isolant. Ces quasi-particules peuvent être décrites comme des paires électrons-trous liées par des forces de Coulomb. Elles jouent un rôle important dans la physique de certains matériaux, notamment en agissant dynamiquement sur leurs propriétés optiques. Récemment, des chercheurs sont parvenus pour la première fois à observer les orbites des électrons composant les excitons, leur permettant ainsi de déterminer la fonction d’onde des excitons. Un résultat important qui pourrait déboucher sur le développement de nouvelles technologies quantiques.
Pour la première fois, des physiciens ont réussi à imager les orbites d’électrons dans une quasi-particule connue sous le nom d’exciton — un résultat qui leur a permis de mesurer enfin la fonction d’onde excitonique décrivant la distribution spatiale de l’impulsion électronique dans la quasi-particule. Les chercheurs poursuivent cet objectif depuis la découverte des excitons dans les années 1930, et bien qu’elle puisse sembler abstraite de prime abord, elle pourrait aider au développement de diverses technologies, y compris des applications de technologie quantique.
« Les excitons sont des particules vraiment uniques et intéressantes ; ils sont électriquement neutres, ce qui signifie qu’ils se comportent très différemment dans les matériaux que d’autres particules comme les électrons. Leur présence peut vraiment changer la façon dont un matériau répond à la lumière. Ce travail nous rapproche de la compréhension complète de la nature des excitons », explique physicien Michael Man de l’Okinawa Institute of Science and Technology (OIST) Femtosecond Spectroscopy Unit au Japon.
Le rôle important des excitons dans les semi-conducteurs
Un exciton n’est pas une véritable particule, mais une quasi-particule — un phénomène qui émerge lorsque le comportement collectif des particules les amène à agir à la manière d’une particule. Les excitons émergent dans les semi-conducteurs, des matériaux plus conducteurs qu’un isolant, mais pas assez pour être considérés comme des conducteurs proprement dits. Les semi-conducteurs sont utiles en électronique, car ils permettent un contrôle plus fin du flux d’électrons. Aussi difficiles qu’ils soient à observer, les excitons jouent un rôle important dans ces matériaux.
Des excitons peuvent se former lorsque le semi-conducteur absorbe un photon (une particule de lumière) qui élève les électrons chargés négativement à un niveau d’énergie plus élevé ; c’est-à-dire que le photon « excite » l’électron, ce qui laisse un espace chargé positivement appelé trou d’électrons. L’électron négatif et son trou positif deviennent liés ensemble dans une orbite mutuelle ; un exciton est cette paire de trous électron-électron en orbite. Mais les excitons sont de très courte durée et très fragiles, car l’électron et son trou peuvent se rassembler en une fraction de seconde seulement, donc les observer est complexe.
« Les scientifiques ont découvert les excitons pour la première fois il y a environ 90 ans. Mais jusqu’à très récemment, on ne pouvait généralement accéder qu’aux signatures optiques des excitons — par exemple, la lumière émise par un exciton une fois désexcité. D’autres aspects de leur nature, tels que leur impulsion, et comment l’électron et le trou gravitent autour de l’autre, ne pouvait être décrit que théoriquement », explique le physicien Keshav Dani de l’unité de spectroscopie femtoseconde de l’OIST.
Mesurer la fonction d’onde des excitons
C’est un problème que les chercheurs s’efforcent de résoudre. En décembre de l’année dernière, ils ont publié une méthode d’observation directe de l’impulsion des électrons. Et dans cette étude, ils l’ont appliqué avec succès. La technique utilise un matériau semi-conducteur bidimensionnel appelé diséléniure de tungstène, logé dans une chambre à vide refroidie à une température de -183,15 degrés Celsius. Cette température doit être maintenue pour empêcher les excitons de surchauffer.
Une impulsion laser crée des excitons dans ce matériau ; un deuxième laser à ultra-haute énergie expulse alors entièrement les électrons, dans le vide de la chambre à vide, surveillée par un microscope électronique. Cet instrument mesure les vitesses et les trajectoires des électrons, informations qui peuvent ensuite être utilisées pour déterminer les orbites initiales des particules au point où elles ont été expulsées de leurs excitons.
« Cette technique présente certaines similitudes avec les expériences de collisionneur de physique des hautes énergies, où les particules se percutent avec d’intenses quantités d’énergie. En mesurant les trajectoires des plus petites particules internes produites lors de la collision (produits de collision), les scientifiques peuvent commencer à comprendre la structure interne des particules intactes d’origine », explique Dani.
« Ici, nous faisons quelque chose de similaire — nous utilisons des photons ultraviolets extrêmes pour briser les excitons et mesurer les trajectoires des électrons pour imaginer ce qu’il y a à l’intérieur ». Bien qu’il s’agisse d’un travail délicat et chronophage, l’équipe a finalement pu mesurer la fonction d’onde d’un exciton, qui décrit son état quantique. Cette description inclut son orbite avec le trou d’électrons, permettant aux physiciens de prédire avec précision la position de l’électron.
Vers le développement de nouvelles technologies quantiques
Avec quelques ajustements, la recherche de l’équipe pourrait être un énorme pas en avant pour la recherche sur les excitons. Le travail pourrait être utilisé pour mesurer la fonction d’onde de différents états et configurations d’excitons, et sonder la physique des excitons de différents matériaux et systèmes semi-conducteurs.
« Être capable de visualiser les orbites internes des particules lorsqu’elles forment des particules composites plus grosses pourrait nous permettre de comprendre, mesurer et finalement contrôler les particules composites de manière sans précédent. Cela pourrait nous permettre de créer de nouveaux états quantiques de la matière et de la technologie basés sur ces concepts », conclut le physicien Julien Madeo.