Grâce aux propriétés quantiques de la matière, notamment la superposition et l’intrication, les ordinateurs quantiques promettent d’offrir des capacités de calcul inégalées, qui permettront de relever des défis majeurs dans plusieurs domaines de recherche fondamentale. Mais ces ordinateurs sont encore très sensibles aux perturbations extérieures et demeurent pour le moment de type NISQ (pour Noisy Intermediate Scale Quantum) — autrement dit, ils sont imparfaits. En s’inspirant du cerveau humain, des chercheurs ont peut-être trouvé le moyen de contourner ces limites.
En 2018, le physicien américain John Preskill expliquait dans la revue Quantum que nous sommes entrés dans l’ère du NISQ — qui signifie littéralement « quantique d’échelle intermédiaire bruité », un acronyme désignant des ordinateurs de quelques qubits (50 à 100) « imparfaits », qui intègrent nécessairement des erreurs, mais qui peuvent néanmoins réaliser certaines tâches inaccessibles aux ordinateurs classiques. « Le bruit dans les portes quantiques limitera la taille des circuits quantiques qui peuvent être exécutés de manière fiable », souligne-t-il dans son article.
Cette limitation empêche les machines quantiques d’être exploitées efficacement pour l’apprentissage machine quantique. La recherche s’emploie donc à développer des portes quantiques toujours plus précises et plus résistantes aux perturbations. Récemment, des modèles d’apprentissage machine quantique inspirés de la dynamique du cerveau (qui est tolérante au bruit) sont apparus comme un moyen de contourner les limitations matérielles des dispositifs NISQ. Dans ce contexte, une équipe de l’Université d’Harvard, montre qu’un ordinateur quantique construit à partir d’atomes géants pourrait en théorie imiter certaines fonctions cérébrales.
Un réseau neuronal quantique à base d’atomes
Les « atomes géants » dont il est question sont des atomes dits de Rydberg — des atomes à l’état excité, ici des atomes de rubidium, dont le nombre quantique principal (n) est très élevé ; leurs énormes orbitales électroniques impliquent des interactions dipôle-dipôle importantes, permettant une intrication. Ces atomes sont surdimensionnés du fait que certains de leurs électrons gravitent très loin du noyau ; ils sont très sensibles à la lumière et peuvent être contrôlés par des lasers. Ils sont fréquemment utilisés dans des expériences de décohérence quantique — une théorie qui tente de relier les règles de la physique quantique à celles de la physique classique.
À partir de simulations informatiques, Rodrigo Araiza Bravo et ses collègues de l’Université d’Harvard ont montré qu’il était possible de construire un nouveau type d’ordinateur quantique à partir de ces atomes. En particulier, ils ont découvert qu’il était possible de manipuler (à l’aide de lasers) six atomes de Rydberg de manière à former un véritable réseau neuronal récurrent (RNN) — un modèle bien connu des circuits neuronaux du cerveau humain. Dans leur modèle théorique, les états quantiques de l’électron situé sur la couche la plus externe de chaque atome de rubidium correspondent aux états d’un neurone du cerveau — qui peut être actif ou inactif (excitateur ou inhibiteur).
« Notre RNN quantique (qRNN) utilise la dynamique hamiltonienne naturelle d’un ensemble de particules de spin-1/2 en interaction comme moyen de calcul », expliquent les chercheurs dans leur article de prépublication. Dans un tel système quantique, les réseaux de neurones sont plus complexes que dans les ordinateurs classiques, ils peuvent donc en théorie être capables d’accomplir des tâches encore plus compliquées, et en moins de temps.
Des tâches de mémorisation et de prise de décision
Bravo et son équipe ont démontré en particulier que leur RNN quantique serait capable de reproduire l’apprentissage de plusieurs tâches cognitives telles que le multitâche, la prise de décision, et la mémoire à long terme. Pour parvenir à cette conclusion, ils ont simulé le bombardement des atomes de rubidium par deux impulsions laser différentes, puis ont entraîné leur réseau neuronal de manière à ce qu’il choisisse l’impulsion la plus intense — pour développer sa capacité à prendre des décisions.
Pour la tâche de mémoire, l’équipe a répété la même simulation, mais un délai d’un dixième de microseconde séparait les deux impulsions laser. En d’autres termes, le qRNN devait apprendre à se remémorer la première impulsion dès lors qu’il recevait la seconde. Les chercheurs soulignent que dans les RNN classiques, les tâches telles que la prise de décision et la mémoire de travail nécessitent une connectivité entre tous les neurones. Étant donné que la connectivité est ici limitée par des contraintes physiques, ils ont choisi une architecture spécifique pour éviter que les neurones ne soient isolés les uns des autres.
Notre cerveau est sans doute la « machine » la plus efficace en matière de traitement d’informations et de consommation d’énergie. Parvenir à émuler une partie de ses capacités via un système quantique représenterait une véritable avancée. Bravo et ses collaborateurs travaillent d’ores et déjà au développement de cet ordinateur — qui demeure pour l’instant au stade théorique — et envisage même d’en construire un avec encore plus d’atomes.