Dans le domaine de la physique quantique, il existe de nombreuses énigmes encore irrésolues. En unissant leurs forces, des scientifiques de l’Université de Stanford (États-Unis) et de l’University College Dublin (Irlande) ont mis au point un nouveau type d’ordinateur quantique qui pourrait être en mesure de se frotter à des problèmes de physique encore jamais résolus.
L’ordinateur en question est doublement spécial. En effet, il s’agit d’un ordinateur quantique, mais également analogique. L’université de Dublin affirme dans un communiqué que, une fois mis à la bonne échelle, le dispositif pourrait permettre de « faire la lumière sur certains des problèmes non résolus les plus importants de la physique ». Par exemple, expliquent les chercheurs, il deviendrait possible de s’attaquer sérieusement au problème des matériaux supraconducteurs à température ambiante.
Les matériaux supraconducteurs sont utilisés par exemple dans des composants de scanners IRM, des trains à grande vitesse et des réseaux d’énergie efficaces sur de longues distances. Ils sont donc très utiles, mais ils ne fonctionnent actuellement qu’à des températures extrêmement basses. Leur utilisation à grande échelle est donc limitée. « Le Saint Graal de la science des matériaux est de trouver des matériaux supraconducteurs à température ambiante, ce qui révolutionnerait leur utilisation dans une multitude de technologies », affirme l’université. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Physics.
Comment un ordinateur pourrait-il permettre de résoudre un problème lié aux matériaux ? Par le calcul. En effet, pour pouvoir créer des matériaux complexes tels que ceux-là, il est nécessaire d’effectuer des simulations informatiques. Or, « certains problèmes sont tout simplement trop complexes pour être résolus par les ordinateurs numériques classiques les plus puissants », affirme Andrew Mitchell, directeur de l’UCD Centre for Quantum Engineering Science and Technology et co-auteur de l’étude.
C’est là qu’intervient l’informatique quantique. Le fonctionnement des ordinateurs quantiques repose sur ce qu’on appelle des qubits. Les qubits sont aux ordinateurs quantiques ce que les « bits » sont aux ordinateurs classiques : il s’agit de l’unité d’information la plus élémentaire. Concrètement, un bit est un 0 ou un 1, et ce sont des assemblages de ces 0 et 1 qui composent les codes qui permettent de programmer les ordinateurs. Dans un ordinateur quantique, un qubit est en revanche une unité d’information qui peut être en quelque sorte à la fois 0 et 1, dans une superposition d’états (en plus de pouvoir être 0 ou 1). Cette possibilité a été découverte en se basant sur des principes de physique quantique. Elle permet aux ordinateurs quantiques d’effectuer des calculs bien plus rapides.
L’analogique au service du quantique
Toutefois, même les ordinateurs quantiques actuels ne sont pas tout puissants. En effet, il est par exemple souvent difficile de maintenir des qubits en fonctionnement suffisamment longtemps pour obtenir des résultats sur des problèmes complexes. Si bien que la simulation de matériaux quantiques, par exemple, reste très difficile, même pour un ordinateur quantique. « Ce type de calcul dépasse de loin les capacités actuelles en raison du temps de calcul exponentiel et des besoins en mémoire nécessaires pour simuler les propriétés de modèles réalistes », affirme ainsi Andrew Mitchell.
Toutefois, les scientifiques ont ouvert de nouvelles pistes grâce à une méthode « analogique ». Pour le comprendre, il faut s’intéresser à ce qu’est l’analogique. L’analogique et le numérique sont deux procédés différents. Ils permettent tous deux de transporter et de stocker des données. Par exemple, de l’audio, de la photo, de la vidéo… Le système analogique est apparu avec les débuts de l’électricité. Le numérique, lui, est apparu juste avant l’informatique. Dans un système analogique, le principe de base est de reproduire le signal à enregistrer sous une forme similaire.
Prenons un exemple : la télévision analogique fonctionnait sur la base de ce principe. L’image à retransmettre était convertie en signaux électriques, qu’on appelait « signal vidéo », caractérisé par sa fréquence, c’est-à-dire le nombre d’oscillations en une seconde. Ces signaux électriques étaient eux-mêmes retransmis via une onde électromagnétique à laquelle on faisait suivre les mêmes amplitudes que le signal d’origine. On peut donc dire que le signal transmis est une sorte de « reproduction » du signal originel.
Goldhaber-Gordon, un autre chercheur de l’étude, l’explique ainsi : il s’agit pour lui de « construire une sorte d’analogie matérielle avec le problème que vous voulez résoudre, plutôt que d’écrire un code informatique pour un ordinateur numérique programmable. Par exemple, supposons que vous vouliez prédire le mouvement des planètes dans le ciel nocturne et le moment des éclipses. Vous pourriez le faire en construisant un modèle mécanique du système solaire, où quelqu’un tourne une manivelle, et des engrenages rotatifs imbriqués représentent le mouvement de la lune et des planètes ».
Pour s’attaquer à des problèmes quantiques, un tel simulateur a toutefois besoin d’intégrer des composants quantiques. « La nouvelle architecture du simulateur quantique implique des circuits électroniques avec des composants à l’échelle nanométrique dont les propriétés sont régies par les lois de la mécanique quantique », expliquent les scientifiques. Dans un ordinateur quantique, les qubits sont le plus souvent des atomes. Dans ce système, « chacun des composants électroniques du circuit est un substitut de l’atome simulé et se comporte comme un « atome artificiel » ».
Les composants qui simulent les atomes peuvent être produits en nombre de façon à ce que chacun se comporte de manière identique aux autres. Autrement dit, il devient possible de créer de grandes structures, capables de « simuler la matière quantique en masse ». Pour le moment, le test a été fait sur deux « atomes artificiels ». Toutefois, « en faisant passer le simulateur quantique de deux à plusieurs composants de taille nanométrique, nous espérons pouvoir modéliser des systèmes beaucoup plus complexes que les ordinateurs actuels ne peuvent pas traiter », déclare Andrew Mitchell. « Cela pourrait être la première étape pour enfin élucider certains des mystères les plus déroutants de notre univers quantique », conclut-il.