Les ordinateurs quantiques ont le potentiel de résoudre, à terme, des problèmes complexes beaucoup plus rapidement que les supercalculateurs les plus puissants. En revanche, construire des systèmes avec des millions de qubits interconnectés constitue un défi de taille. Récemment, des ingénieurs du MIT et de MITRE Corporation ont présenté une solution qui semble plus évolutive que les systèmes concurrents. En effet, ils ont développé une architecture quantique sur puce (QSoC) qui intègre de façon stable des milliers de qubits interconnectés sur un circuit intégré personnalisé.
La fragilité inhérente de la plupart des technologies impliquant des qubits, combinée aux systèmes de contrôle complexes nécessaires pour les manipuler, est la principale raison faisant que les ordinateurs quantiques basés sur des qubits supraconducteurs viennent tout juste de franchir la barre des 1000 qubits. De ce fait, des chercheurs du MIT et de MITRE Corporation ont conçu une nouvelle plateforme qui permet de réguler et contrôler avec précision un vaste ensemble de qubits. En même temps, cette architecture de système quantique sur puce (QSoC) permet la création de réseaux de communication quantique à grande échelle en connectant plusieurs puces à l’aide d’un seul réseau optique.
En ajustant les qubits sur 11 canaux de fréquences distinctes, le QSoC propose un nouveau protocole de « multiplexage par intrication » pour l’informatique quantique à grande échelle. « Nous aurons besoin d’un grand nombre de qubits et d’un grand contrôle sur ces derniers pour réellement exploiter la puissance d’un système quantique et le rendre utile », a déclaré l’auteur principal de l’étude, Linsen Li du MIT, dans un communiqué. « Nous proposons une toute nouvelle architecture et une technologie de fabrication capables de répondre aux exigences d’évolutivité d’un système matériel pour un ordinateur quantique », a-t-il ajouté.
Les centres colorés de diamant : des candidats qubits prometteurs
Il existe de nombreux types de qubits, mais les chercheurs ont décidé ici d’utiliser les centres colorés de diamant pour l’architecture QSoC. La raison ? Ils présentent des avantages indéniables en matière d’évolutivité. En effet, ils conservent leur état quantique beaucoup plus longtemps que les technologies concurrentes et peuvent être intriqués avec des qubits distants à l’aide de signaux lumineux. Considérés comme des « atomes artificiels », ils sont en mesure de transporter des informations quantiques et sont compatibles avec les processus de fabrication des semi-conducteurs.
Les centres colorés de diamant sont également compacts et ont des temps de cohérence longs. De plus, ils présentent des interfaces photoniques qui permettent une intrication à distance avec d’autres qubits. De ce fait, ils surmontent le défi de l’inhomogénéité des qubits inhérents aux grands systèmes. « L’hypothèse conventionnelle dans le domaine est que l’inhomogénéité du centre coloré du diamant est un inconvénient par rapport à une mémoire quantique identique comme les ions et les atomes neutres », explique Dirk Englund du MIT. Il a ajouté : « Nous transformons cependant ce défi en avantage en prenant en compte la diversité des atomes artificiels : chaque atome a sa propre fréquence spectrale. Cela nous permet de communiquer avec des atomes individuels en les mettant en résonance avec un laser, un peu comme en réglant le cadran d’une petite radio ».
Ainsi, afin d’obtenir une connectivité complète, les scientifiques ont intégré une large gamme de qubits à centre coloré de diamant sur une puce semi-conductrice à oxyde métallique complémentaire (CMOS), permettant un réglage dynamique des fréquences des qubits. « Cela compense la nature inhomogène du système. Avec la plate-forme CMOS, nous pouvons régler rapidement et dynamiquement toutes les fréquences de qubits », explique Li.
Un processus de fabrication par verrouillage et libération : la clé pour produire des QSoC
Pour transférer à grande échelle des « micropuces » à centres colorés de diamants sur un circuit intégré CMOS, l’équipe a développé un processus de fabrication par verrouillage et déverrouillage. La fabrication inclut la conception d’un ensemble de micropuces à centres colorés de diamant, la fabrication d‘antennes optiques à une échelle nanométrique, le post-traitement d’une puce CMOS pour ajouter des supports à l’échelle micrométrique et enfin, l’intégration de deux couches à l’aide d’un processus de verrouillage et de déverrouillage innovant.
« Comme nous pouvons contrôler la fabrication du diamant et de la puce CMOS, nous pouvons créer un motif complémentaire. De cette façon, nous pouvons transférer simultanément des milliers de copeaux de diamant dans leurs alvéoles correspondants », explique Li. Les chercheurs ont par la suite effectué un transfert de zone de 500 microns sur 500 microns pour un réseau de 1024 nanoantennes en diamant. D’après leurs résultats, l’architecture pourrait être encore améliorée en utilisant des réseaux de diamant plus grands et des puces CMOS. Ils ont également constaté qu’avec plus de qubits, le réglage des fréquences nécessite moins de tension avec cette architecture.
En parallèle au QSoC, l’équipe a développé une autre approche pour caractériser le système et pour mesurer ses performances à grande échelle. Pour ce faire, les chercheurs ont mis au point une configuration de métrologie cryo-optique personnalisée. Avec cette technique, ils ont démontré qu’une puce entière comprenant plus de 4000 qubits pourrait être réglée sur une même fréquence tout en conservant à la fois les spins et les propriétés optiques de chaque qubit. Ils ont également développé une simulation de « jumeau numérique » pour connecter l’expérience à la modélisation numérisée et mettre en œuvre efficacement l’architecture.
L’équipe du MIT et du MITRE affirme que cette approche pourrait être appliquée à d’autres technologies quantiques à l’état solide. Ils prédisent également pouvoir atteindre à terme des densités de qubits comparables aux densités de transistors de l’électronique conventionnelle. Et même si l’équipe n’a pas encore réellement utilisé l’architecture QSoC pour effectuer des calculs, ce travail représente une avancée significative pour l’informatique quantique.