Ordinateurs quantiques : une percée majeure avec la correction d’erreurs sur les qudits

Une percée qui pourrait ouvrir la voie aux ordinateurs quantiques évolutifs et moins exigeants en matériels.

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Des chercheurs ont pour la première fois intégré la correction d’erreurs quantiques à des qudits, des types de qubits qui peuvent exister dans plus de deux états. Cet exploit a été rendu possible grâce à une technique appelée « code bosonique de Gottesman-Kitaev-Preskill », optimisée à l’aide d’un algorithme d’apprentissage par renforcement. Ces résultats pourraient contribuer au développement d’ordinateurs quantiques plus simples à mettre en œuvre.

La plupart des ordinateurs quantiques actuels véhiculent l’information au moyen de bits quantiques (qubits), des unités fondamentales comparables aux bits des ordinateurs classiques. Tandis que ces derniers fonctionnent selon un système binaire, les qubits peuvent exister simultanément dans deux états distincts grâce au phénomène de superposition quantique.

En informatique quantique, la capacité de calcul d’un système est déterminée par ce que l’on appelle « l’espace de Hilbert ». Plus cet espace est étendu, davantage le système est à même d’effectuer des calculs complexes. Les qubits permettent d’explorer un espace de Hilbert à deux dimensions, tandis que les qudits — leurs équivalents à plusieurs niveaux — étendent cet espace au-delà de ces deux dimensions.

Les qudits suscitent depuis plusieurs années un intérêt croissant, car ils pourraient, en théorie, simplifier l’exécution de tâches exigeantes, comme la construction de portes quantiques, le traitement d’algorithmes complexes ou encore la création d’états dits « magiques » — autant de fonctions essentielles qui nécessiteraient alors moins d’exigences matérielles.

Des qudits enfin corrigés expérimentalement

Un état magique désigne une forme particulière d’état quantique, impossible à reproduire avec un ordinateur classique, mais indispensable à l’exécution de calculs quantiques pleinement fonctionnels. Cela permet entre autres à la technologie de s’appliquer à tous les domaines, et de ne pas se limiter à quelques domaines seulement.

Des architectures fondées sur des qudits photoniques, atomiques ou supraconducteurs ont déjà été proposées. Toutefois, le seuil de correction d’erreurs quantiques (QEC) — seuil à partir duquel un système corrigé conserve l’information plus longtemps que sa version non corrigée — n’avait jusqu’ici été franchi qu’avec des qubits.

Dans une étude récemment publiée dans la revue Nature, des chercheurs de l’Université de Yale ont démontré pour la première fois la mise en œuvre expérimentale de la correction d’erreurs quantiques appliquée aux qudits. Non seulement ces derniers ont fonctionné comme prévu, mais ils ont également atteint ce seuil de correction. « Ces résultats reposent sur de nombreuses avancées techniques, telles que la généralisation de méthodes expérimentales antérieures et l’invention de protocoles de mesure des qudits dans des bases de Pauli généralisées », expliquent les auteurs dans leur article.

Un protocole optimisé à l’aide de l’IA

Les ordinateurs quantiques sont réputés pour leur extrême sensibilité au bruit environnemental. Ces perturbations peuvent générer des erreurs ou entraîner la perte d’information avant même que les opérations ne soient réalisées. La correction d’erreurs quantiques est donc un dispositif essentiel, destiné à maintenir la cohérence des données assez longtemps pour permettre l’exécution des calculs.

L’équipe de Yale a intégré la QEC à des qutrits (systèmes à trois états) et des ququarts (à quatre états), en s’appuyant sur le code bosonique de Gottesman-Kitaev-Preskill (GKP). Ce protocole a été implémenté au sein d’une cavité micro-onde supraconductrice tridimensionnelle, hébergeant à la fois un oscillateur quantique et un qubit transmon — un type de qubit supraconducteur conçu pour réduire la sensibilité au bruit de charge. Cette configuration permet notamment de faciliter le codage, la lecture et la stabilisation des états logiques.

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Graphique montrant le processus de stabilisation des qudits GKP. © Benjamin L. Brock et al.

« Nos travaux s’appuient sur la promesse d’efficacité matérielle offerte par les codes bosoniques et représentent une nouvelle façon d’exploiter le vaste espace de Hilbert d’un oscillateur », soulignent les chercheurs.

Le code bosonique GKP permet de coder les états logiques des qutrits et ququarts en utilisant des fonctions d’ondes disposées en une grille périodique. Cette méthode permet d’organiser les informations selon des déplacements périodiques dans l’espace, facilitant ainsi la détection et la correction d’erreurs mineures avant qu’elles ne deviennent irréversibles.

Des performances prometteuses malgré des limites physiques

Pour affiner ce protocole, les chercheurs ont eu recours à un algorithme d’apprentissage par renforcement. L’intelligence artificielle a sélectionné de manière autonome les paramètres expérimentaux les plus pertinents, ajustant jusqu’à 45 variables afin d’optimiser la fidélité de la mémoire quantique sur plusieurs cycles d’opérations. Un niveau de précision difficilement atteignable par des méthodes conventionnelles.

Au terme de ces optimisations, l’équipe a obtenu un taux de correction d’erreurs de 1,82 pour les qutrits et de 1,87 pour les ququarts. En d’autres termes, les informations corrigées codées par les qudits ont duré respectivement 82 % et 87 % plus longtemps que dans les versions non corrigées, atteignant ainsi le seuil de correction d’erreurs. Selon les chercheurs, ces performances sont comparables, voire supérieures, à celles des qubits QEC testés avec le même dispositif.

Malgré ces avancées, certaines limitations subsistent. En particulier, les états logiques doivent être davantage espacés à mesure que leur complexité croît, ce qui requiert une plus grande quantité d’énergie pour les maintenir — une contrainte qui les rend plus vulnérables au bruit environnemental. Par ailleurs, les phénomènes de perte de photons et de déphasage, fréquents dans les systèmes supraconducteurs, augmentent proportionnellement à l’énergie de l’état, réduisant ainsi la durée de vie des informations quantiques codées.

Néanmoins, « en échange d’une légère réduction de la durée de vie, nous avons accès à davantage d’états quantiques logiques dans un système physique unique », expliquent les auteurs. « Cela pourrait permettre une compilation plus efficace des portes et des algorithmes, des techniques alternatives de communication et de transduction quantiques, ainsi que des stratégies avantageuses de concaténation dans un code multi-qudit externe », ajoutent-ils.

Vers une architecture quantique imbriquée

Selon les chercheurs, le qubit transmon auxiliaire constituerait la principale source de déphasage. Certains de ces qubits présentent une élévation involontaire de température, augmentant leur vulnérabilité aux erreurs dès les premiers instants du processus de calcul. Ce problème pourrait toutefois être atténué grâce à de meilleurs dispositifs de refroidissement ou à des systèmes auxiliaires optimisés.

À court terme, les chercheurs prévoient d’étendre leur protocole à des qudits intriqués, éléments fondamentaux des calculs quantiques à grande échelle et des systèmes de correction d’erreurs de nouvelle génération. Ils ambitionnent également d’explorer la « concaténation interne », une méthode consistant à encapsuler un qubit logique au sein d’un qudit logique, créant ainsi des couches de protection imbriquées avec un seul oscillateur.

Source : Nature
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