La méthode de chiffrement qui protège nos comptes bancaires est-elle mise en danger par l’informatique quantique ? C’est globalement ce qu’affirme une équipe de scientifiques qui s’est penchée sur le sujet. Une hypothèse audacieuse, que tempèrent toutefois d’autres spécialistes, bien plus sceptiques.
C’est un fait établi : les ordinateurs quantiques possèdent une puissance de calcul hors du commun. C’est même pour cette exacte raison que leur développement fait couler autant d’encre, et que leurs créateurs se disputent les records régulièrement. Pour autant, il est encore aujourd’hui compliqué de les mettre en œuvre pour des applications concrètes.
Pourtant, une équipe de scientifiques vient d’affirmer que l’une de ces machines serait déjà en mesure de décoder une méthode de chiffrement clé. Données bancaires, e-mails, informations personnelles, bases d’informations… La méthode de chiffrement nommée RSA (Rivest–Shamir–Adleman) est très largement utilisée aujourd’hui pour échanger des données confidentielles sur internet. Selon les chercheurs, qui ont publié leurs résultats sur le serveur de préimpression arXiv (dans l’attente de la vérification par leurs pairs), c’est cette fameuse méthode qui pourrait être dépassée par les ordinateurs quantiques.
L’idée n’est pas toute nouvelle : l’algorithme de Shor, proposé en 1994, établissait déjà une méthode pour obtenir les nombres premiers sur un ordinateur quantique. En revanche, l’ordinateur nécessaire à l’exécution de cet algorithme était alors très loin d’exister. Cet algorithme nécessite en effet un ordinateur avec des millions de qubits, ou bits quantiques : c’est-à-dire, bien davantage que tout ce qui existe, même aujourd’hui.
Pour rappel, les qubits sont aux ordinateurs ce que les « bits » sont aux ordinateurs classiques : l’unité d’information la plus élémentaire. Concrètement, un bit peut être 0 ou 1, et c’est sur ces 0 et 1 que reposent tous les programmes plus complexes des ordinateurs. Un qubit est en revanche une unité d’information qui peut être en quelque sorte à la fois 0 et 1, dans une superposition d’états. Cette possibilité a été découverte en se basant sur des principes de physique quantique.
En 2021, des travaux de Claus Peter Schnorr portaient également sur la même question. Il n’avait d’ailleurs pas hésité à affirmer audacieusement que sa théorie « détruit le cryptosystème RSA ». Comme l’explique le New Scientist dans un article, cette affirmation avait été rapidement démontée par des pairs, qui avaient démontré que son algorithme perdait rapidement de son efficacité pour les grands nombres.
Une théorie à mettre à l’épreuve des faits
L’équipe de scientifiques à l’origine de cette nouvelle publication affirme s’être appuyée sur ces travaux précédents pour améliorer l’algorithme de Shor. Selon Bao Yan, chercheur au State Key Laboratory of Mathematical Engineering and Advanced Computing à Zhengzhou (Chine), et ses collaborateurs, le nouvel algorithme pourrait fonctionner sur des ordinateurs quantiques déjà existants : « Nous estimons qu’un circuit quantique avec 372 qubits physiques et une profondeur de milliers est nécessaire pour défier RSA-2048 en utilisant notre algorithme », peut-on lire dans leurs travaux. Ils n’ont pas encore effectué d’essais en conditions réelles, mais cela serait possible, puisque Osprey, par exemple, est un ordinateur quantique qui compte 433 qubits. Ils ont, expliquent-ils, effectué un test avec 10 qubits et sont parvenus à factoriser le nombre « 261 980 999 226 22 ». C’est de ce résultat à petite échelle qu’ils ont déduit la possibilité de s’attaquer au système de chiffrement avec 372 qubits.
La faisabilité sera donc à démontrer avant de s’inquiéter réellement du chiffrement de nos comptes bancaires. En effet, les travaux ne font pas mention du temps nécessaire au décodage du chiffrement. Or, comme le rappelle le New Scientist, la méthode de chiffrement RSA repose sur une asymétrie primordiale : il est relativement aisé de multiplier des nombres premiers entre eux. En revanche, lorsqu’il s’agit de retrouver les nombres premiers à partir du chiffrement, résultat de ces calculs, c’est une autre paire de manches. Or, maintenir des qubits en fonctionnement est un vrai défi dans la mesure où ils peuvent générer de nombreuses erreurs de calcul, qui doivent être corrigées au fur et à mesure.
Plusieurs spécialistes en cryptographie et en informatique quantique, interrogés par le New Scientist, ont souligné la nécessité de tests supplémentaires. Ils se sont montrés plutôt sceptiques quant à la supposée menace représentée par les capacités des ordinateurs quantiques actuels.