Des chercheurs ont fait une découverte étonnante en étudiant un organisme unicellulaire atypique, Euplotes patella. Leur étude révèle notamment qu’il utilise ses 14 petites pattes de façon étonnamment variée, comme si un ordinateur mécanique les contrôlait. Pour cela, l’animal utilise entre autres ses microtubules (des fibres constitutives du cytosquelette). Une découverte qui pourrait contribuer à expliquer comment de nombreux autres organismes unicellulaires adoptent des comportements complexes malgré l’absence de cerveau ou de système nerveux.
Avant de s’intéresser à ce micro-organisme, Ben Larson, de l’Université de Californie à San Francisco (UCSF), a remarqué que les cellules qu’il essayait d’étudier dans le cadre d’un autre travail de recherche étaient constamment dévorées par des prédateurs capables de se déplacer sur des surfaces avec une démarche atypique, semblable à celle des insectes. C’est là qu’il pensa à Wallace Marshall, un expert en micro-organismes inhabituels, qu’il a fini par contacter dans le but d’en savoir plus sur ces animaux qui perturbaient ses recherches.
Peu de temps après, les deux chercheurs ont identifié les prédateurs comme étant des organismes unicellulaires appartenant au genre Euplotes, des Euplotes patella. Ces protistes prédateurs se trouvent aussi bien dans la mer que dans l’eau douce. Ils peuvent nager mais aussi marcher sur des surfaces sous l’eau en utilisant environ 14 cirres (ou pattes) sur leur face inférieure (le nombre varie selon l’espèce), contrôlées par des microtubules.
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« Si l’on peut fabriquer un ordinateur à partir de microtubules, on peut justifier la recherche de ces derniers dans de nombreux autres types de cellules », explique Marshall, membre de l’équipe de la nouvelle étude à l’UCSF.
Euplotes : une démarche étonnamment irrégulière
Depuis le début du XXe siècle, les biologistes se demandent comment des créatures unicellulaires dépourvues de nerfs peuvent coordonner les mouvements d’un si grand nombre de pattes. Larson, Wallace et leurs collègues ont donc décidé d’étudier les Euplotes plus en détail.
Larson a commencé par prendre des vidéos de 13 cellules d’Euplotes marchant sur une lamelle de verre pour microscope. Il a ensuite minutieusement annoté chaque cirre (patte) dans chaque image vidéo afin que l’équipe puisse analyser la démarche en détail. Cela a révélé que les Euplotes ont une démarche très inhabituelle…
Pour mieux comprendre ce qui suit, il faut savoir que les animaux dotés d’un cerveau, comme les mille-pattes, répètent généralement le même schéma de mouvements des pattes, encore et encore. Au lieu de cela, les pattes des Euplotes se déplacent selon de nombreux schémas différents.
« Il n’y a pas de séquence exacte et bien définie de pas qu’ils exécutent, il y a beaucoup de variabilité », explique Larson. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’animal n’est pas capable d’effectuer des mouvements réguliers et répétitifs des pattes, mais il pourrait également s’agir d’une adaptation à la marche sur des surfaces rugueuses qu’il n’est pas en mesure de détecter. Les concepteurs de robots marcheurs ajoutent généralement une certaine variabilité pour éviter que leurs machines ne s’enlisent, souligne Wallace. Il pourrait donc s’agir d’un mécanisme « préventif » similaire apporté par l’évolution.
Cependant, le mouvement des pattes d’Euplotes n’est pas non plus entièrement aléatoire. Cela indique qu’un système interne contrôle et coordonne les mouvements des pattes dans une certaine mesure. « Il y a une sorte d’information qui est transmise », déclare Larson.
Le premier candidat est le faisceau de microtubules qui s’étendent à l’intérieur de la cellule à partir de l’endroit où chaque patte est reliée à la cellule, et qui sont reliés les uns aux autres. L’équipe a donc ajouté à l’eau un médicament connu pour perturber la formation des microtubules. Comme prévu, cela a modifié la démarche des cellules, faisant bouger les pattes selon des schémas différents. Les Euplotes tournaient alors en rond…
Microtubules : ils agissent comme une sorte d’ordinateur mécanique
Les résultats suggèrent que le réseau de microtubules agit comme une sorte d’ordinateur mécanique simple, appelé « automate fini », ou « machine à états finis ». « Nos données montrent qu’il faut les microtubules pour que le calcul se produise. L’explication la plus simple est que ce sont les éléments de calcul », déclare Marshall. « L’avons-nous prouvé ? Non ». Les détails ont été publiés sur le serveur de préimpression bioRxiv.
« C’est un travail scientifique très solide », déclare Robert Blick, de l’université de Hambourg en Allemagne, qui conçoit des ordinateurs nanomécaniques. « Les aspects de la mécanique sont sous-évalués en biologie et même en biophysique ». L’équipe doit maintenant approfondir les recherches pour montrer définitivement que les microtubules agissent comme une machine à état fini, selon Blick. « Si c’est le cas, cela pourrait changer la donne ».
De nombreux organismes unicellulaires sont capables de comportements très sophistiqués. Mais comment des créatures dépourvues de nerfs ou de cerveau y parviennent reste un mystère. « Tous ces comportements sont encore mystérieux », déclare Wallace. Les microtubules sont présents dans toutes les cellules complexes, ils pourraient donc contrôler le comportement d’autres cellules également.