Le premier sursaut radio rapide détecté remonte à 2007. Depuis, près d’une centaine de ces « explosions » cosmiques ultrabrèves ont été enregistrées, certaines d’entre elles étant périodiques. Malgré ces observations multiples, l’origine de ces signaux reste inconnue à ce jour. Trous noirs, étoiles à neutrons simples, pulsars ou magnétars font partie des sources envisagées. Une nouvelle étude menée par une équipe internationale sur cinq sources différentes de ces étranges signaux pourrait permettre de résoudre enfin ce mystère.
Les sursauts radio rapides (ou FRB pour fast radio bursts) sont des émissions radio intenses et très brèves (de l’ordre d’une milliseconde) provenant de sources extragalactiques. Ils se produisent des milliers de fois par jour. Si la plupart d’entre eux sont uniques, d’autres se répètent à intervalles réguliers, ce qui permet de les étudier plus en détail. Une équipe dirigée par l’astrophysicien Bing Zhang a ainsi suivi de près cinq de ces FRB répétitifs : ils ont découvert que ces signaux suivaient un certain schéma de polarisation, qui pourrait éclairer la nature de leurs sources.
En effet, en analysant la fréquence de polarisation de ces différents FRB, les scientifiques ont observé quelques similitudes : chaque source est polarisée aux hautes fréquences, mais se dépolarise en dessous d’une fréquence seuil qui varie selon les sources. « Ces propriétés indiquent un environnement complexe à proximité des FRB répétitifs, comme un reste de supernova ou une nébuleuse de vent de pulsar, ce qui est cohérent avec le fait qu’ils soient issus de populations stellaires jeunes », résume l’équipe dans son document, publié dans la revue Science.
La piste des magnétars toujours privilégiée
Dans le cadre de cette étude, Zhang et son équipe ont suivi des centaines de sursauts rapides issus de cinq sources différentes, afin d’analyser leurs propriétés de polarisation. Leurs observations ont été menées à l’aide du radiotélescope sphérique de cinq cents mètres d’ouverture (abrégé FAST, en anglais), situé dans la province du Guizhou, au sud-ouest de la Chine ; c’est le deuxième plus grand radiotélescope au monde après le RATAN-600 en Russie. Ils ont également exploité le Green Bank Telescope (GBT), le plus grand radiotélescope orientable du monde, situé en Virginie-Occidentale, aux États-Unis.
Depuis la découverte des FRB en 2007, les astronomes du monde entier utilisent les plus puissants radiotélescopes, comme le FAST et le GBT, pour suivre les sursauts et éventuellement collecter des indices sur leur origine et leur mode de production. Avant son effondrement survenu en 2020, le radiotélescope de l’observatoire d’Arecibo avait lui aussi permis d’observer plusieurs FRB.
Les astrophysiciens ne peuvent aujourd’hui affirmer avec certitude de quel type d’objet sont issus ces signaux radio ; la piste des magnétars est cependant privilégiée, surtout depuis la découverte, par le radiotélescope canadien CHIME, de sursauts radios rapides en provenance de SGR 1935+2154 à partir d’avril 2020 ; découvert en 2014 à environ 29 400 années-lumière de la Terre par le télescope spatial Swift, SGR 1935+2154 a été identifié comme étant un magnétar — soit une étoile à neutrons disposant d’un champ magnétique extrêmement intense, parmi les plus puissants de l’Univers.
Bien qu’il soit très bref, un FRB libère à peu près autant d’énergie que le Soleil en un an. Cette énorme quantité d’énergie a conduit les astrophysiciens à soupçonner les magnétars d’être de probables sources de ces signaux. La polarisation des magnétars est généralement proche de 100% ; ainsi, la rafale d’ondes radio émise devrait elle aussi être fortement polarisée. De récentes observations ont néanmoins soulevé quelques particularités.
Un système binaire propice à la dépolarisation
En 2019, Zhang et son équipe avaient fait une impressionnante découverte grâce au FAST : au cours de 47 jours, ils avaient détecté un total de 1652 FRB provenant d’une seule et même source, surnommée FRB 20121102. C’est la plus grande série de phénomènes mystérieux jamais enregistrée. Au cours de sa phase la plus active, ce FRB a émis 122 rafales sur une période d’une heure : c’est le taux de répétition le plus élevé jamais observé pour un FRB !
« Le grand ensemble de rafales a permis à notre équipe d’affiner comme jamais auparavant l’énergie caractéristique et la distribution de l’énergie des FRB, ce qui jette un nouvel éclairage sur le moteur qui alimente ces phénomènes mystérieux », avait déclaré Zhang à l’époque. L’événement a notamment incité l’équipe à écarter l’hypothèse des chocs relativistes — qui était aussi proposée pour expliquer la formation des FRB. En effet, les rafales étaient trop fréquentes et bien trop énergétiques pour corroborer cette idée.
D’autres télescopes, utilisant des fréquences plus élevées, ont révélé que les sursauts de cette source étaient hautement polarisés — ce qui renforçait l’hypothèse des magnétars. Mais aucun des sursauts détectés par FAST dans sa bande de fréquences n’était polarisé, ce qui a laissé l’équipe très perplexe. Ils ont donc entrepris d’examiner d’autres FRB répétitifs avec des télescopes de différentes gammes de fréquences — en particulier à des fréquences plus élevées que celles de FAST.
C’est ainsi qu’ils ont pu dégager un schéma unique de polarisation : ils ont découvert que la polarisation augmente et diminue avec la fréquence observée des sursauts. Aux basses fréquences, les rafales peuvent même être complètement dépolarisées. Le seuil semble être de 2 GHz, ce qui explique pourquoi le FAST n’a détecté aucune polarisation. Chaque source de FRB répétitif est entourée d’un plasma dense fortement magnétisé ; celui-ci produit une rotation différente de l’angle de polarisation en fonction de la fréquence, et les ondes radio reçues par les radiotélescopes terrestres proviennent de chemins multiples en raison de la diffusion des ondes par le plasma, expliquent les chercheurs.
Or, si une source de FRB est entourée de gaz ou de plasma ionisé avec des champs magnétiques capables de dépolariser les ondes radio, cela signifie que l’environnement est relativement jeune. Il pourrait notamment s’agir d’un vestige de supernova ou d’une toute nouvelle étoile à neutrons. Une autre explication possible est un magnétar orbitant autour d’une autre étoile : le duo pourrait interagir et créer un environnement turbulent dans lequel les sursauts du magnétar se disperseraient et se dépolariseraient. De futures détections de FRB permettront peut-être de confirmer le scénario, dévoilant enfin l’origine physique des FRB.