En observant des galaxies naines à très faible brillance datant du premier milliard d’années de l’Univers, des chercheurs ont découvert qu’elles émettent collectivement suffisamment de rayonnements énergétiques pour enclencher la phase de réionisation cosmique. Ils avancent notamment que l’énergie totale de ces rayonnements est quatre fois supérieure aux précédentes estimations, ce qui signifie que ces galaxies auraient pu constituer les principales sources de photons à l’origine de la réionisation de l’Univers.
Au début de l’Univers, quelques minutes après le Big Bang, l’espace était empli d’un nuage chaud et dense de plasma ionisé. Cependant, ce brouillard était tellement dense et la lumière présente si diffuse que les photons se sont rapidement dispersés, assombrissant ainsi totalement l’Univers (l’âge sombre de l’Univers). À mesure que celui-ci refroidissait, environ 300 000 ans après le Big Bang, les protons et les électrons se sont rassemblés pour former de l’hydrogène neutre (et de l’hélium).
En théorie, les premières étoiles massives se formant à partir de ce gaz ont ensuite réionisé le nuage environ 600 à 800 millions d’années après le Big Bang, de sorte que la lumière a pu se diffuser plus librement. Ces étoiles auraient été 30 à 300 fois plus massives et des millions de fois plus brillantes que le Soleil. Elles auraient ainsi rapidement épuisé leur combustible et explosé en supernova après seulement quelques millions d’années d’existence. Les rayonnements énergétiques résultant de la croissance et de l’explosion de ces étoiles auraient divisé les atomes de l’hydrogène neutre environnant en électrons et en protons (ionisation). Cette période est connue sous le nom de « réionisation de l’Univers ».
Cependant, les sources exactes à l’origine de cette transition majeure font encore aujourd’hui l’objet de débats. Les astronomes ont passé plusieurs décennies à identifier des sources de rayonnement suffisamment puissantes, pouvant dissiper progressivement le brouillard d’hydrogène qui recouvrait l’Univers primitif. Certains modèles théoriques avancent que les quasars auraient pu être des sources de réionisation suffisamment puissantes, tandis que d’autres penchent davantage en faveur des galaxies ultra-lumineuses.
Il a récemment été suggéré qu’en raison de leur forte densité numérique à l’aube de l’Univers, les galaxies naines à faible brillance de surface (dont la masse et la luminosité sont très faibles) auraient pu constituer des sources de réionisation suffisamment puissantes. Cependant, aucune observation spectroscopique complète des galaxies primitives de faible masse n’a jusqu’à présent été réalisée, en raison de leur luminosité extrêmement faible.
Dans leur nouvelle étude, présentée dans la revue Nature, des chercheurs de l’Institut d’Astrophysique de Paris de l’Université de Sorbonne et du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) ont rapporté les premières observations spectroscopiques des galaxies les plus faibles ayant existé durant le premier milliard d’années de l’Univers. Leurs résultats concordent avec la précédente théorie, démontrant notamment que ces galaxies produisaient beaucoup plus de rayonnement qu’on le pensait.
« Cette découverte révèle le rôle crucial joué par les galaxies ultra-faibles dans l’évolution de l’Univers primitif », explique dans un communiqué de l’Agence spatiale européenne Iryna Chemerynska, coauteure principale de l’étude et membre de l’équipe de l’Institut d’Astrophysique de Paris. « Ils produisent des photons ionisants qui transforment l’hydrogène neutre en plasma ionisé lors de la réionisation cosmique. Il souligne l’importance de comprendre les galaxies de faible masse pour façonner l’histoire de l’Univers », a-t-elle ajouté.
4 fois plus de rayonnements que précédemment estimé
Afin d’étudier les sources potentielles de réionisation de l’Univers, les chercheurs se sont appuyés à la fois sur les observations du télescope spatial Hubble et celles de James Webb. Ces observations ont été effectuées dans le cadre du programme Ultradeep NIRSpec et NIRCam ObserVations before the Epoch of Reionization (UNCOVER). L’amas de galaxies Abell 2744 (ou amas de Pandore) a été utilisé comme lentille gravitationnelle (facilitant l’observation).
Plus précisément, l’équipe a combiné des données d’imagerie ultra-profonde de James Webb avec des images d’Abell 2744 capturées par Hubble, afin de sélectionner des galaxies candidates extrêmement faibles durant la période de réionisation. En effet, Abell 2744 est si massif qu’il déforme considérablement l’espace-temps environnant (et ainsi dévie la lumière provenant des galaxies lointaines qui le traverse). Cela apporte un effet d’amplification, qui a permis à l’équipe d’observer de très faibles sources de lumière lointaines, dont 8 galaxies extrêmement faibles qui auraient été autrement impossibles à détecter, même avec la puissance de James Webb.
« L’incroyable sensibilité de NIRSpec combinée à l’amplification gravitationnelle fournie par Abell 2744 nous a permis d’identifier et d’étudier en détail ces galaxies du premier milliard d’années de l’Univers, bien qu’elles soient plus de 100 fois plus faibles que notre galaxie, la Voie lactée », explique l’auteur principal de la recherche, Hakim Atek, de l’Institut d’astrophysique de Paris.
Les résultats de l’équipe ont révélé que bien que leur luminosité apparente soit faible, ces galaxies sont d’immenses productrices de rayonnements ionisants. Cette production est en effet 4 fois supérieure à ce qui a précédemment été estimé. En outre, les observations semblent également confirmer que les galaxies naines diffuses constituaient la population d’objets cosmiques la plus abondante à l’époque de la réionisation. Cela signifie qu’elles constituaient probablement la principale source de photons ayant réionisé l’Univers.
« Ces centrales cosmiques émettent collectivement plus qu’assez d’énergie pour accomplir leur travail », explique Atek. « Malgré leur petite taille, ces galaxies de faible masse sont de prolifiques producteurs de rayonnement énergétique, et leur abondance pendant cette période est si importante que leur influence collective peut transformer l’état tout entier de l’Univers », a-t-il affirmé.
Toutefois, étant donné que les observations ne concernent qu’une petite région du cosmos, l’échantillon de galaxies naines observé pourrait ne pas nécessairement refléter la population totale de l’aube cosmique. Les experts prévoient d’explorer la question en réitérant les observations par le biais d’une autre lentille gravitationnelle : l’amas de galaxie Abell S1063. Cela permettra d’étudier des populations plus larges de galaxies faibles.