Les oublis récurrents auraient un important avantage évolutif

Une sorte d'optimisation cérébrale pour mieux mémoriser les informations essentielles.

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Des chercheurs avancent que l’oubli récurrent représente un avantage évolutif important, contribuant à la survie des générations. En effet, ces oublis permettraient d’optimiser le fonctionnement de notre cerveau en privilégiant la rétention des informations importantes. Plutôt que d’être définitivement perdues, les informations oubliées seraient temporairement inaccessibles et permettraient de mettre nos souvenirs à jour.

L’une des premières théories sur l’oubli soutient que celui-ci survient parce que les souvenirs s’évanouissent avec le temps. Connue sous le nom de théorie de la « courbe de l’oubli », cette théorie postule que la plupart des individus oublient rapidement les détails d’un événement (entre quelques heures et quelques jours). L’information se perd progressivement si le cerveau ne cherche pas à la conserver ou ne lui accorde pas l’attention nécessaire.

Bien que les oublis fréquents soient généralement perçus comme un symptôme de trouble cognitif, il a été suggéré qu’ils pourraient également revêtir des avantages fonctionnels. Face au flot constant de nouvelles informations, notre cerveau aurait du mal à mémoriser l’essentiel s’il devait se souvenir de chaque détail. En focalisant notre attention sur certains aspects, nous pourrions ainsi trier et oublier ceux qui sont superflus.

« Bien que les signes d’étourderie augmentent avec l’âge et que les troubles de la mémoire, tels que la maladie d’Alzheimer, soient associés à des problèmes d’attention, il est important de pouvoir oublier les détails insignifiants pour forger des souvenirs », expliquent Sven Vanneste et Elva Arulchelvan, du département de neurosciences et de psychologie du Trinity College de Dublin, dans un article publié sur The Conversation.

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La « courbe de l’oubli » selon Hermann Ebbinghaus. © Sven Vanneste et Elva Arulchelvan

Des oublis facilitant la mise à jour des souvenirs

Vanneste et Arulchelvan avancent que l’oubli aide le cerveau à gérer les nouvelles informations et à mettre à jour les souvenirs. Mémoriser une information nécessite parfois d’actualiser celles précédentes. Par exemple, si l’on emprunte quotidiennement le même trajet pour se rendre au travail, la mémorisation du chemin se renforce par la répétition. En revanche, un changement temporaire d’itinéraire exige une certaine adaptabilité de la mémoire pour actualiser les informations. Ainsi, le cerveau doit mettre de côté certaines données pour en intégrer de nouvelles.

D’un point de vue évolutif, la capacité à oublier d’anciens souvenirs pour intégrer de nouvelles informations constitue un atout majeur. Les chercheurs citent l’exemple de chasseurs-cueilleurs pouvant rencontrer une nouvelle menace en se rendant à leur point d’eau habituel. Leur cerveau doit alors réactualiser les informations pour associer le lieu à un danger potentiel lors des prochaines visites, assurant ainsi la survie du groupe.

Inversement, l’incapacité à mettre à jour les souvenirs peut avoir des répercussions psychologiques négatives, notamment dans les cas de stress post-traumatique. Ce syndrome illustre l’incapacité d’un individu à oublier un souvenir négatif et à actualiser les informations, ce qui peut entraîner un chevauchement entre anciennes et nouvelles données. « L’incapacité à actualiser ou à oublier un souvenir traumatique expose l’individu à des rappels constants dans son environnement », expliquent les chercheurs.

Des informations temporairement inaccessibles ?

Le duo d’experts avance également que l’oubli ne signifie pas nécessairement la perte de l’information, mais qu’elle est simplement temporairement inaccessible. Des expériences menées sur des modèles murins ont révélé que les souvenirs oubliés peuvent être récupérés en renforçant les connexions synaptiques qui leur sont associées. Les rongeurs ont été conditionnés à associer un bruit à un souvenir désagréable. L’activation artificielle des connexions neuronales correspondantes (par stimulation optogénétique) a permis aux animaux de récupérer le souvenir même en l’absence de stimuli.

Chez les humains, la récupération de souvenirs temporairement inaccessibles se traduit par le phénomène du « mot sur le bout de la langue ». Cela survient, par exemple, lorsqu’on croise une connaissance sans se souvenir immédiatement de son prénom. En se concentrant davantage, les souvenirs affluent progressivement, en commençant par la lettre ou la syllabe initiale du prénom, pour finalement retrouver le prénom complet.

Des psychologues ont démontré que la capacité des individus à récupérer des souvenirs par ce biais est supérieure au hasard, indiquant que l’information n’est pas définitivement perdue. L’oubli temporaire permettrait ainsi d’optimiser le fonctionnement du cerveau pour récupérer les souvenirs non essentiels uniquement en cas de besoin. « Le phénomène du bout de la langue pourrait être le moyen utilisé par leur cerveau pour signaler que l’information souhaitée n’est pas oubliée et que la persévérance peut mener à une mémorisation réussie », soulignent Vanneste et Arulchelvan.

Par ailleurs, des études ont suggéré que la récurrence de ce phénomène indique un affaiblissement des connexions neuronales liées à la mémorisation. Cela pourrait expliquer pourquoi il se produit plus fréquemment avec l’âge, le cerveau devant trier davantage d’informations pour retrouver certains souvenirs. Les experts précisent que ces hypothèses ne visent pas à minimiser les conséquences négatives des maladies affectant la mémoire, telles qu’Alzheimer. Néanmoins, « ces formes d’oubli aident notre cerveau à fonctionner plus efficacement et ont probablement contribué à notre survie au fil des générations », concluent-ils.

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