L’oxygène-28 pourrait remettre en question les fondements de la physique nucléaire

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L'isotope rare d'oxygène 28 a été déterminé comme étant « à peine non lié ». | Andy Sproles/ORNL
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L’oxygène-28, un isotope récemment identifié, bouleverse les théories établies en physique nucléaire. Contrairement aux attentes, cet isotope, riche en neutrons, se désintègre rapidement, remettant en question la notion de « nombres magiques ». Cette observation, réalisée par une équipe du Tokyo Institute of Technology, suggère que notre compréhension des noyaux atomiques pourrait nécessiter une révision, ouvrant la voie à de nouvelles perspectives de recherche.

La physique nucléaire, cette branche de la science qui étudie les noyaux atomiques et leurs constituants, a été ébranlée par une découverte inattendue. Lorsque l’on évoque les isotopes, certains principes sont considérés comme établis. En effet, le noyau d’un atome est composé de nucléons, qui sont eux-mêmes constitués de protons et de neutrons. L’oxygène, par exemple, possède toujours 8 protons, mais le nombre de neutrons peut varier, donnant naissance à différents isotopes. Jusqu’à récemment, le plus grand nombre de neutrons observé dans un isotope d’oxygène était de 18, pour l’oxygène-26.

Cependant, une équipe dirigée par le physicien nucléaire Yosuke Kondo du Tokyo Institute of Technology a découvert deux isotopes d’oxygène jamais observés auparavant : l’oxygène-27 et l’oxygène-28, avec respectivement 19 et 20 neutrons. Cette découverte remet en question notre compréhension des « nombres magiques » de particules dans le noyau d’un atome. Loin d’être une simple curiosité académique, elle pourrait redéfinir notre compréhension des noyaux atomiques et des forces qui les régissent. Les travaux sont publiés dans la revue Nature.

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Découverte des isotopes

Le processus de découverte s’est déroulé à la RIKEN Radioactive Isotope Beam Factory au Japon, un établissement de pointe spécialisé dans la production et l’étude d’isotopes radioactifs. Là, l’équipe a utilisé un accélérateur cyclotron, une machine capable d’accélérer des particules à des vitesses extrêmes.

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Un schéma de l’expérience. © Nature

Pour produire les isotopes d’oxygène inédits, l’équipe a d’abord dirigé un faisceau d’isotopes de calcium-48 sur une cible de béryllium. Cette collision a généré une variété d’atomes plus légers, dont le fluor-29, un isotope du fluor avec 9 protons et 20 neutrons. Par la suite, ce fluor-29 a été isolé et bombardé avec une cible d’hydrogène liquide. L’objectif était de déloger un proton du fluor-29, le transformant ainsi en oxygène-28.

Un comportement atypique pour un isotope « magique »

L’oxygène-28 est un isotope qui a suscité un vif intérêt dans la communauté scientifique. Sa particularité réside dans sa composition : il possède 8 protons et 20 neutrons. Dans le monde de la physique nucléaire, certains nombres de nucléons, qu’ils soient protons ou neutrons, sont qualifiés de « magiques », terme inventé par le physicien Eugene Wigner à la fin des années 1950. Ces nombres sont associés à une stabilité particulière du noyau atomique. Ainsi, un noyau ayant un nombre « magique » de protons ou de neutrons est censé être plus stable que les autres. Ces derniers présentent une énergie de liaison plus forte.

Dans le cas de l’oxygène, la quantité de 8 pour les protons est considérée comme un nombre magique. De même, le chiffre 20 pour les neutrons est également perçu comme tel, formant une « coquille » complète, selon les termes des auteurs dans le communiqué. Par conséquent, l’oxygène-28, avec ses 8 protons et 20 neutrons, devrait théoriquement présenter une grande stabilité. Cependant, les observations ont montré le contraire.

Des expériences qui mettent à mal les théories

En utilisant l’usine de faisceaux d’isotopes radioactifs du centre RIKEN Nishina, l’auteur principal Yosuke Kondo et son équipe ont mené les toutes premières expériences pour observer la désintégration radioactive de 28O en 24O en mesurant l’émission directe de quatre neutrons non liés lorsque 28O (l’oxygène-28) se déplaçait sur la ligne d’égouttement nucléaire — le point auquel le noyau s’est délié et a fui ou « a fait couler » les neutrons.

Contre toute attente, cet isotope se désintègre en un temps très court, défiant ainsi les prédictions basées sur la théorie des nombres magiques. Grâce à des études de simulation avancées sur le supercalculateur Summit de l’ORNL, l’équipe a confirmé avec une certitude de 98% que 28O n’est pas un noyau lié.

Cette découverte a donc jeté une ombre sur la fiabilité de la notion de « nombre magique ». Si un isotope avec des nombres « magiques » de protons et de neutrons ne présente pas la stabilité attendue, cela signifie-t-il que la théorie elle-même est incomplète ou nécessite une révision ? Cette question est au cœur des débats actuels en physique nucléaire, poussant les chercheurs à reconsidérer et à approfondir leurs connaissances sur la structure nucléaire et les forces qui la régissent.

Un mystère à élucider

Cette découverte s’aligne avec un phénomène déjà identifié dans le domaine de la physique nucléaire : « l’île d’inversion ». Ce phénomène se manifeste lorsque les neutrons occupent des niveaux d’énergie plus élevés que prévu, conduisant à des configurations nucléaires inhabituelles. Il a été observé pour certains isotopes d’autres éléments, tels que le néon, le sodium et le magnésium. Dans ces cas, les coquilles de neutrons prévues pour être complètes ne le sont pas, et les neutrons occupent des coquilles d’énergie supérieure.

La concordance entre les observations de l’équipe de Kondo sur l’oxygène-28 et le phénomène de l’île d’inversion suggère que des mécanismes similaires pourraient être à l’œuvre. Cela souligne la nécessité d’une compréhension plus approfondie de la structure nucléaire et des forces qui déterminent la stabilité des isotopes.

Pour mieux comprendre cette énigme, d’autres études seront nécessaires, notamment pour sonder le noyau de l’oxygène-28 dans un état excité. Un état excité se réfère à une condition où les nucléons à l’intérieur du noyau ont des niveaux d’énergie plus élevés que leur état fondamental. En sondant le noyau dans cet état, les chercheurs peuvent obtenir des informations précieuses sur la distribution des neutrons et la dynamique interne qui pourrait influencer la stabilité de l’isotope.

Les résultats actuels, bien que surprenants, ouvrent la voie à une meilleure compréhension des noyaux magiques, qui pourraient être bien plus complexes que ce que l’on pensait jusqu’à présent.

Source : Nature

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