Une étude révèle que des minéraux polymétalliques tapissant le fond des océans à plus de 4000 mètres de profondeur agissent comme des « géobatteries » extrayant l’oxygène de l’eau. Ce processus serait ainsi à l’origine de l’oxygène soutenant la vie marine à ces profondeurs, où la lumière ne peut pénétrer. Cela remet en question l’hypothèse de longue date selon laquelle l’oxygène terrestre provient principalement d’organismes vivants photosynthétiques.
La production d’oxygène sur Terre a débuté à l’Archéen il y a 3,5 milliards d’années, avec l’apparition des organismes procaryotes autotrophes, des cyanobactéries photosynthétiques à l’origine des immenses dépôts de carbonates fossilifères appelés stromatolites. Ces organismes marins ont proliféré pendant plus d’un milliard d’années et ont augmenté petit à petit la concentration d’oxygène dans l’atmosphère. Ils ont ensuite été progressivement relayés par les algues eucaryotes il y a environ 2 milliards d’années.
L’oxygène s’échappant dans l’atmosphère a abondamment oxydé les roches et est à l’origine de près de 2 500 des 4 500 minéraux disponibles sur Terre. Cette augmentation de la disponibilité en oxygène est également à l’origine d’une évolution adaptative qui a conduit à l’apparition des organismes aérobies (dépendant de l’oxygène pour vivre).
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« Pour que la vie aérobie puisse apparaître sur la planète, il fallait de l’oxygène, et nous savons que l’approvisionnement en oxygène de la Terre a commencé avec les organismes photosynthétiques », explique dans un article de blog de l’Université Northwestern, Andrew K. Sweetman, de l’Association écossaise des sciences marines (SAMS).
Cependant, lors d’un échantillonnage du fond marin de la zone Clarion-Clipperton — une crête sous-marine s’étendant sur près de 7 242 kilomètres le long du nord-est de l’océan Pacifique —, Sweetman et ses collègues ont relevé des niveaux d’oxygène étonnamment élevés à plus de 4 000 mètres de profondeur. Or, si l’oxygène terrestre provient principalement d’organismes photosynthétiques, il devrait logiquement se raréfier dans les profondeurs marines où la lumière du Soleil ne peut pénétrer.
« Lorsque nous avons reçu ces données, nous avons pensé que les capteurs étaient défectueux, car toutes les études menées dans les profondeurs marines n’ont observé que la consommation d’oxygène plutôt que sa production », explique Sweetman. Cependant, en réajustant les capteurs et en utilisant parallèlement une autre technique de mesure, les niveaux d’oxygène relevés étaient les mêmes pour les 10 dernières années. « Lorsque les deux méthodes ont donné le même résultat, nous avons su que nous étions sur une piste révolutionnaire et inédite », indique l’expert.
De véritables « géobatteries » naturelles
Afin de déterminer l’origine de cet « oxygène sombre » produite exclusivement dans les profondeurs marines, Sweetman a sollicité son collègue Franz Geiger de l’Université Northwestern, qui a effectué une précédente étude sur l’extraction de l’oxygène de l’eau. Cette dernière démontre qu’en étant combinée à de l’eau salée, la rouille pouvait générer de l’électricité, séparant ainsi les atomes d’hydrogène et d’oxygène de l’eau.
L’objectif de la nouvelle étude — détaillée dans la revue Nature Geoscience — était de déterminer si les nodules polymétalliques des profondeurs océaniques pouvaient, eux aussi, générer suffisamment d’électricité pour extraire l’oxygène de l’eau salée. Cette réaction chimique est appelée « électrolyse de l’eau de mer ».
Les nodules polymétalliques sont des amas de roches sombres et arrondis composés d’un mélange de métaux tels que le cobalt, le nickel, le cuivre, le lithium et le manganèse. Ils font entre la taille d’un grain de sable et celle d’une pomme de terre moyenne. Ces éléments (couramment utilisés pour la fabrication de batteries) font que l’exploitation des nodules intéresse particulièrement les compagnies minières qui les extraient — jusqu’à 6 000 mètres de profondeur.
Afin d’explorer leur hypothèse, l’équipe de Sweetman a collecté et analysé plusieurs kilogrammes de nodules polymétalliques. Les chercheurs ont constaté qu’ils peuvent agir comme de véritables « géobatteries » naturelles. Un seul nodule de taille moyenne peut notamment générer une tension électrique allant jusqu’à 0,95 volt.
En étant regroupés et connectés bout à bout, ils peuvent générer davantage de tension à l’instar de piles électriques connectées en série. Or, 1,5 volt (soit l’équivalent de la tension produite par une pile AA standard) suffit pour décomposer l’eau de mer en hydrogène et en oxygène.
Selon les experts, ces géobatteries pourraient être la source principale de l’oxygène des fonds océaniques, remettant ainsi en question l’hypothèse largement acceptée selon laquelle l’oxygène terrestre est principalement d’origine photosynthétique. « Nous savons maintenant que de l’oxygène est produit dans les profondeurs marines, où il n’y a pas de lumière. Je pense donc que nous devons nous poser des questions telles que : où la vie aérobie a-t-elle pu naître ? », suggère Sweetman.
Un élément vital pour la faune abyssale
Les chercheurs estiment que les compagnies minières devraient tenir compte de ces résultats avant de planifier des extractions en eau profonde. La masse totale des nodules métalliques de la zone Clarion-Clipperton suffirait notamment, à elle seule, à répondre à la demande mondiale en énergie pendant plusieurs décennies.
Cependant, l’étude suggère qu’il s’agit également d’un soutien essentiel à la faune abyssale qui, contrairement à la vie marine en eau peu profonde, ne bénéficie pas d’oxygène provenant de la photosynthèse. Les impacts de précédentes exploitations de nodules polymétalliques dans les années 1980 semblent concorder avec cette hypothèse. En visitant ces sites entre 2016 et 2017, des biologistes marins ont constaté que ces régions dites « zones mortes » ont été complètement désertées par la vie marine, y compris les bactéries. En revanche, la faune a continué à s’épanouir dans les zones non exploitées. La diversité de la faune des fonds marins dans les zones riches en nodules serait même plus élevée que dans les forêts tropicales humides les plus diversifiées. « Nous devons repenser la manière d’extraire ces matériaux, afin de ne pas épuiser la source d’oxygène dont dispose la vie en haute mer », conclut Geiger.