En été 2024, des chercheurs ont émis pour la première fois l’hypothèse d’un lien entre les médicaments de la classe des GLP-1 et un risque accru de perte de vision soudaine par « neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique » (abrégé NOIA-NA en français). Toutefois, aucun lien de causalité formel n’a pu être établi, incitant la communauté scientifique à souligner la nécessité de recherches complémentaires pour déterminer si ces traitements sont réellement à l’origine de ce phénomène. Depuis, plusieurs études se sont penchées sur la relation entre le sémaglutide — principe actif de l’Ozempic, du Wegovy et du Rybelsus — et la NOIA-NA. La plus récente, menée par des chercheurs américains, avance que les fluctuations rapides de la glycémie provoquées par ces médicaments pourraient expliquer ces complications visuelles.
Développé par le laboratoire danois Novo Nordisk et commercialisé depuis 2018, l’Ozempic est initialement destiné aux patients atteints de diabète de type 2. Son efficacité en matière de perte de poids lui a rapidement valu un succès mondial, bien au-delà de son indication première. Cependant, en décembre dernier, deux études ont mis en lumière des risques associés à ce traitement, pointant un doublement du risque de développer une affection oculaire rare.
La première de ces études, dirigée par le professeur Grauslung, s’appuie sur l’analyse des données de plus de 420 000 danois souffrant de diabète de type 2, dont 106 000 avaient reçu de l’Ozempic entre 2019 et 2023. Sur l’ensemble de cette cohorte, 67 cas de NOIA-NA ont été diagnostiqués. Après ajustement des résultats en fonction de l’âge et d’autres facteurs de comorbidité, les chercheurs ont conclu à un risque deux fois plus élevé chez les utilisateurs de sémaglutide.
La seconde étude, menée par le professeur Anton Pottegård au Danemark et en Norvège, a abouti à des conclusions similaires, bien que par le biais d’une méthodologie différente. L’équipe de recherche a comparé des patients ayant commencé un traitement par Ozempic après 2018 avec de nouveaux utilisateurs d’autres antidiabétiques. Le risque accru de NOIA-NA, également multiplié par deux, concernait spécifiquement les patients traités par Ozempic, indépendamment de la sévérité de leur diabète.
Les fluctuations glycémiques, piste privilégiée
Si ces résultats s’avèrent préoccupants, ils ne permettent toutefois d’établir qu’une corrélation, sans preuve de causalité directe. Conscients de ces limites, des médecins du John A. Moran Eye Center de l’Université de l’Utah ont décidé d’approfondir les recherches.
L’équipe de la nouvelle étude, dirigée par le professeur Bradley Katz, spécialiste en ophtalmologie et sciences visuelles, a examiné neuf patients présentant des troubles visuels variés, dont la NOIA-NA, la papillite et la maculopathie moyenne aiguë paracentrale, des affections touchant le nerf optique, essentiel à la transmission des signaux visuels au cerveau.
Les chercheurs ont formulé l’hypothèse que les fluctuations rapides de la glycémie, induites par le sémaglutide, pourraient être à l’origine de ces anomalies visuelles. Une piste qui remet en question les hypothèses antérieures privilégiant une toxicité directe des agonistes du GLP-1 sur le nerf optique.
« Cette étude n’a pas été conçue pour prouver que ces médicaments sont la cause des complications observées », précise Bradley Katz dans un communiqué. L’incertitude est d’autant plus grande que cette classe de médicaments est relativement récente.
Si les premières recherches ont mis en évidence des bénéfices notables, notamment pour la santé cardiovasculaire, cérébrale et potentiellement rénale, des zones d’ombre persistent quant à leurs effets secondaires à long terme. En France, selon les données des assurances maladie, plus de 2 200 personnes non diabétiques ont eu recours à l’Ozempic en 2024, principalement pour ses effets sur la perte de poids.
Les données sur les effets indésirables de ces médicaments, en particulier leur impact sur la santé oculaire des patients diabétiques, demeurent limitées. « Compte tenu de l’association du sémaglutide avec une aggravation temporaire de la rétinopathie diabétique, une incidence accrue de l’œdème maculaire diabétique et un risque que la correction rapide de l’hyperglycémie induise une papillite, il serait judicieux pour les médecins de privilégier un abaissement plus progressif de l’HbA1C chez leurs patients diabétiques de type 2 », recommandent Katz et ses collègues dans leur étude, publiée dans la revue Ophthalmology.
Invité au podcast du Journal of the American Medical Association (JAMA) Network, le professeur Katz a relaté le cas d’un patient ayant perdu la vision d’un œil seulement un jour après le début de son traitement par sémaglutide. Les huit autres patients étudiés ont quant à eux développé des troubles visuels de manière plus progressive, un contraste qui intrigue les chercheurs. « Mon patient a perdu la vue dès le lendemain du début du traitement », témoigne Katz. « Cela s’est produit en moins de 24 heures ».
« D’autres études seront nécessaires pour valider notre hypothèse. Il s’agit d’un enjeu important pour les ophtalmologistes, car nous devons rester vigilants quant à l’utilisation de ces médicaments et à la manière d’en informer nos patients », conclut-il.
Enregistrement du podcast de JAMA, récemment publié sur YouTube :