Chez une large partie de la population, la pandémie de COVID-19 a entraîné de nombreux symptômes en parallèle de la maladie elle-même, des symptômes dus principalement à l’anxiété et l’incertitude inhérente à la situation : dépression, troubles du sommeil, fatigue chronique, etc. Il apparaît, selon diverses enquêtes, que le contexte sanitaire aurait également eu un impact notable sur le cycle menstruel.
Au cours de la dernière année, de nombreuses femmes ont en effet déclaré avoir observé des changements dans leur cycle. Un syndrome prémenstruel exacerbé, des troubles de l’humeur, des règles prolongées, voilà tout autant de changements rapportés par les femmes interrogées. « Je me suis toujours sentie un peu renfermée quelques jours avant mes règles, mais cela s’est transformé en un sentiment d’inaccessibilité et d’anxiété pendant plus d’une semaine », témoigne Rachel Burns, 36 ans. Elle ajoute qu’avant Noël, son syndrome prémenstruel lui donnait l’impression de devenir folle, « comme une crise de panique ».
Parallèlement, la gynécologue Anita Singh a lancé une enquête informelle sur Instagram en mai dernier auprès des femmes, leur demandant si elles avaient noté des symptômes inhabituels ou des changements importants dans leurs cycles. Sur les quelque 5700 répondantes, 65% ont répondu par l’affirmative. De même, une enquête menée par des scientifiques du sport en mai-juin 2020 (non évaluée par les pairs) montre que 53% des 749 femmes interrogées ont constaté des changements (en termes de durée et au niveau de l’humeur).
Des changements liés à l’état émotionnel
Chaque mois, lorsque l’ovule n’est pas fécondé, la baisse des niveaux d’hormones peut affecter la production de certaines autres substances de l’organisme, telles que la sérotonine — impliquée dans la gestion des humeurs. La plupart du temps, lorsque les taux d’hormones se stabilisent au moment des saignements, les symptômes disparaissent. Pourquoi certaines femmes sont-elles plus sensibles que d’autres aux variations hormonales et donc, souffrent chaque mois du syndrome prémenstruel (SPM) ? Les spécialistes n’ont malheureusement pas de réponse claire à cette question.
Une étude menée par des chercheurs des National Institutes of Health (NIH) a suggéré que certaines femmes seraient génétiquement plus vulnérables aux changements hormonaux ; ces dernières développeraient ainsi un trouble dysphorique prémenstruel, soit une forme particulièrement sévère du SPM.
Mais pour la Dr Heather Currie, gynécologue et directrice médicale associée de la Dumfries and Galloway Royal Infirmary, il est évident que le SPM n’est pas exclusivement biologique. La preuve ? Le mécanisme qui régule la variation du taux d’œstrogènes et de progestérone au cours du cycle est le même pour toutes les femmes, et pourtant, elles ne sont pas toutes affectées de la même manière. Ainsi, pour Currie, l’état psychologique d’une femme au moment même où ses niveaux d’hormones varient pèse véritablement dans la balance. Cela pourrait donc expliquer les multiples changements observés pendant la pandémie.
Le stress est évidemment l’un des facteurs suspectés d’influencer le cycle. En effet, en situation stressante, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien — qui relie le système nerveux central aux glandes surrénales — déclenche la libération de cortisol pendant plusieurs heures pour répondre à la « menace ». Or, le contexte pandémique est propice au stress permanent (difficultés économiques pour certains, solitude pour d’autres, pensées négatives, maladie, deuil, confinement, etc.). Ainsi, le taux de cortisol n’est plus régulé et peut impacter les niveaux des hormones reproductrices ; ce qui peut conduire à une forte perturbation du cycle menstruel.
Principal coupable : le stress
Pour le Dr Currie, il est important que les femmes veillent à conserver un bon état émotionnel pour ne pas aggraver leurs symptômes prémenstruels. Une étude publiée en 2008 avait d’ores et déjà mis en évidence un lien entre l’intensité des douleurs menstruelles et un mal-être professionnel (lié à la précarité de l’emploi et au faible soutien social des collègues). En effet, il est avéré que le stress augmente notre perception de la douleur. C’est d’ailleurs un véritable cercle vicieux : la douleur est stressante et le stress augmente la douleur…
Malheureusement, pour beaucoup, la situation actuelle — en particulier les mesures de confinement — n’a fait qu’augmenter le stress et la détresse émotionnelle déjà ressentis auparavant. Sam Davies, 38 ans, a toujours souffert d’un SPM, qui s’exprime principalement par des symptômes dépressifs. Elle confie que vivre seule pendant les six premiers mois de la pandémie a tout exacerbé : « J’avais le sentiment écrasant d’être coincée avec mes sentiments, seule, dans ma maison ».
La fermeture des lieux de divertissement et la fréquentation limitée des proches, rend désormais plus difficile l’évacuation des ces tensions émotionnelles. Le Dr Sue Ward, gynécologue consultante et vice-présidente du Collège royal des obstétriciens et gynécologues, souligne ainsi l’impact de l’isolement que peuvent ressentir certaines femmes : « Être capable de parler de nos problèmes de santé et émotionnels les unes avec les autres permet de légitimer nos pensées. En rire ensemble permet parfois d’amenuiser les choses », explique-t-elle.
L’incapacité de pouvoir échapper au quotidien (tâches domestiques, enfants, partenaire, etc.) peut en outre influer sur l’état émotionnel. Sarah Adams, 35 ans, explique qu’elle a toujours ressenti une certaine morosité pendant la seconde moitié de son cycle, mais l’année passée, son autocritique s’est faite bien plus sévère, voire effrayante — un phénomène qu’elle attribue au fait de ne plus pouvoir emporter ses sentiments « ailleurs » (bibliothèque, piscine, bar, etc.). « Nous, les femmes, avons tendance à analyser notre propre comportement et à réfléchir à la façon dont nous sommes perçues par nos semblables. Ainsi, le doute s’instille lorsque nous ne pouvons pas être avec d’autres femmes », explique Sarah.
Une chose est sûre, la pandémie a été l’occasion de constater à quel point le stress peut impacter l’organisme humain. Les spécialistes s’accordent à dire que les perturbations du cycle menstruel observées depuis un an devraient logiquement s’atténuer à mesure que la situation reviendra « à la normale ».