Le paracétamol, ou acétaminophène, est très couramment utilisé comme antalgique et antipyrétique ; c’est l’un des médicaments les plus prescrits au monde. Mais une nouvelle étude met en garde contre son utilisation pendant la grossesse : l’exposition prénatale au paracétamol engendrerait un risque en moyenne 20% plus élevé pour l’enfant de développer des symptômes caractéristiques du trouble du spectre autistique ou du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Dans de nombreux pays, le paracétamol est délivré en pharmacie sans ordonnance. Mais cet antalgique a fait maintes fois parler de lui ces dernières années, de par l’augmentation des cas de surdosage. Au-delà de trois grammes par jour, ou en cas d’utilisation prolongée, il peut en effet entraîner de graves complications hépatiques. Face à l’augmentation d’intoxications involontaires au paracétamol, ce médicament n’est plus disponible en libre accès en France depuis janvier 2020 ; il doit obligatoire être remis par le pharmacien, qui doit veiller à rappeler la posologie appropriée.
En 2016, une étude parue dans la revue JAMA Pediatrics révélait que le paracétamol pris pendant la grossesse pouvait être associé à un développement neurologique anormal du fœtus. La recherche suggérait notamment que le paracétamol pris au 2e et 3e trimestre de grossesse était lié à l’augmentation de certains troubles du comportement de l’enfant, tels que l’hyperactivité. De nouveaux travaux viennent aujourd’hui soutenir cette hypothèse.
Une exposition prénatale qui affecte autant les filles que les garçons
Cette nouvelle étude, menée par l’Institut de Barcelone pour la santé mondiale (ISGlobal), implique plus de 73 000 duos mère-enfant, issus de six cohortes européennes. Selon la cohorte, de 14% à 56% des mères ont déclaré avoir pris du paracétamol pendant leur grossesse.
Il s’avère que les enfants qui ont été exposés au paracétamol avant leur naissance étaient 19% plus susceptibles de développer des symptômes typiques du trouble du spectre autistique (TSA) que les autres enfants ; ils étaient également 21% plus susceptibles de développer des symptômes de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Les chercheurs ont par ailleurs constaté que l’exposition prénatale au paracétamol affectait globalement les filles et les garçons de la même manière — bien que les associations observées soient légèrement plus fortes chez les garçons.
« Nos résultats corrigent certaines des faiblesses des méta-analyses précédentes », précise Jordi Sunyer, chercheur à ISGlobal et co-auteur de l’étude. Ces travaux antérieurs avaient notamment été critiqués pour l’hétérogénéité des critères retenus. C’est pourquoi l’équipe a considéré cette fois-ci de plus larges cohortes, de plusieurs pays, tout en s’efforçant d’harmoniser la définition d’une exposition au paracétamol et l’évaluation des symptômes des différents troubles.
L’exposition au paracétamol a été évaluée au moyen de questionnaires ou d’entretiens maternels ; les symptômes du TSA et du TDAH ont été évalués entre 4 et 12 ans, à l’aide d’instruments validés (et confirmés par des diagnostics hospitaliers dans l’une des cohortes). Par ailleurs, plusieurs co-variables directement liées à la mère ont été prises en compte : âge à l’accouchement, niveau de scolarité, indice de masse corporelle avant la grossesse, alcool, tabagisme, problèmes de santé mentale pendant la grossesse, fièvre et infections pendant la grossesse, etc.
Un médicament à prendre avec modération
L’équipe pense que les effets indésirables d’une exposition précoce au paracétamol sur le développement neurologique peuvent être dû à plusieurs mécanismes : une stimulation du système endocannabinoïde (chargé de maintenir l’homéostasie cellulaire), une modification du taux du facteur neurotrophique issu du cerveau (une protéine essentielle pour le développement du système nerveux), un stress oxydatif dû à l’activité immunitaire induite par l’inflammation, des modifications au niveau de la neurotransmission, ou encore la perturbation du système endocrinien.
Ces résultats sont plutôt inquiétants lorsque l’on sait que le paracétamol était jusqu’à présent considéré comme l’un des médicaments les plus sûrs pour les femmes enceintes et leur bébé. Selon plusieurs études antérieures, on estime que 46 à 56% des femmes enceintes dans les pays développés utilisent du paracétamol comme analgésique et/ou antipyrétique. Aujourd’hui, le lien entre paracétamol et problèmes de comportement se confirme…
Malgré tout, Sunyer insiste sur le fait que ces résultats doivent être interprétés avec prudence ; le paracétamol ne doit pas être définitivement écarté, mais il doit être utilisé avec modération : « Nous sommes d’accord avec les recommandations précédentes indiquant que si le paracétamol ne doit pas être supprimé chez les femmes enceintes ou les enfants, il ne doit être utilisé que lorsque cela est nécessaire ». En d’autres termes, le bon sens est de rigueur.
Parallèlement, l’équipe a analysé l’exposition des enfants au paracétamol après la naissance (jusqu’à 18 mois) : il se trouve qu’aucune association n’a pu être établie entre l’usage de ce médicament pendant l’enfance et les symptômes du TSA. Les chercheurs soulignent cependant que cette conclusion nécessite des études supplémentaires, de par l’hétérogénéité de l’exposition postnatale au paracétamol parmi les différentes cohortes (qui variait de 6 à 92,8%).