Un groupe de biologistes a mis au jour un organisme unicellulaire primitif formant un amas de cellules présentant des similitudes frappantes avec un embryon animal lorsqu’il se reproduit. Cela indique que le développement embryonnaire aurait pu exister bien avant l’apparition des premiers animaux, apportant une potentielle réponse au célèbre paradoxe de l’œuf et de la poule — l’œuf serait donc apparu en premier, selon cette découverte.
L’évolution des organismes multicellulaires à partir d’organismes unicellulaires constitue une étape majeure dans l’histoire de la vie sur Terre. Les organismes multicellulaires ont développé des capacités hautement spécialisées leur permettant de s’épanouir à partir d’une seule cellule (l’ovule) pour former un organisme entier et complexe. Cela inclut la génération de différents types de cellules, la formation de tissus tridimensionnels et l’établissement d’un schéma précis permettant la structuration du corps.
Au cours de l’embryogenèse chez les animaux, plusieurs processus suivant un ordre chronologique très précis ont lieu, notamment le clivage (les cellules se divisent rapidement, mais ne grossissent pas), l’établissement de l’axe embryonnaire, l’activation du génome zygotique et l’organisation spatiale des couches de cellules germinales qui formeront les différents organes et parties du corps.
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Cette séquence est commune à toutes les espèces animales et pourrait remonter à une période antérieure à leur apparition. Des études paléontologiques ont montré que des fossiles d’organismes unicellulaires datant de plus de 600 millions d’années présentent des caractéristiques morphologiques similaires à celles des embryons animaux. Il a donc été suggéré que ces groupes constituent les souches unicellulaires de tous les animaux. Cette hypothèse fait cependant l’objet de débats et la transition des organismes pluricellulaires à partir d’unicellulaires demeure en grande partie méconnue.
Une nouvelle étude de l’Université de Genève et de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) suggère que les ichtyosporéens, des organismes unicellulaires primitifs que l’on trouve dans les sédiments marins, pourraient être d’excellents modèles pour étudier cette transition. Bien qu’ils ne soient pas catégorisés en tant qu’animaux, ils présentent de nombreuses similitudes avec ces derniers.
Des similitudes frappantes avec les embryons animaux
L’équipe de la nouvelle étude s’est concentrée sur Chromosphaera perkinsii, un ichtyosporéen découvert en 2017 dans les sédiments marins autour de l’archipel d’Hawaï. Les archives paléontologiques ont montré que ces organismes sont apparus il y a plus d’un milliard d’années, soit bien avant l’apparition des premiers animaux.
En étudiant le cycle de vie de C. perkinsii, les chercheurs ont constaté qu’une fois qu’elles ont atteint leur taille maximale, les cellules mères se divisent activement, mais sans grandir davantage. Autrement dit, elles subissent une mitose associée à un clivage, un processus connu sous le nom de palintomie chez les embryons animaux. « Cette découverte suggère que C. perkinsii prolifère par le biais d’un mode de développement palintomique, mettant en évidence la vaste gamme de diversité cellulaire et développementale au sein des Ichthyosporea », expliquent-ils dans leur document, publié dans la revue Nature.
Ce mécanisme donne naissance à des colonies multicellulaires présentant des similitudes frappantes avec les blastulas, ces amas de cellules creux formés durant l’embryogenèse animale. « Bien que C. perkinsii soit une espèce unicellulaire, ce comportement montre que les processus de coordination et de différenciation multicellulaires sont déjà présents dans l’espèce, bien avant l’apparition des premiers animaux sur Terre », explique dans un communiqué de l’Université de Genève Omaya Dudin de l’EPFL, qui a dirigé la recherche.
Plus étonnant encore, ces colonies persistent pendant environ un tiers du cycle de vie de l’organisme et comprennent au moins deux types de cellules distincts, ce qui est surprenant pour un organisme unicellulaire. Les cellules finissent ensuite par se disperser pour devenir des organismes indépendants. L’analyse de l’activité génétique au sein des amas de cellules a également montré des points communs avec celle se déroulant chez les embryons animaux.
Ces résultats suggèrent que la génétique régissant le développement multicellulaire complexe était déjà présente il y a plus d’un milliard d‘années. En d’autres termes, la génétique responsable du développement embryonnaire était déjà présente avant la divergence de premiers animaux à partir de lignées unicellulaires. La nature disposait donc déjà des outils génétiques nécessaires pour créer des « œufs » bien avant l’apparition des « poules ».
Toutefois, il est également possible que ce trait ait évolué de manière indépendante chez C. perkinsii et n’ait pas été hérité d’un ancêtre commun aux ichtyosporéens (convergence évolutive). Davantage de recherches seront nécessaires pour déterminer l’origine exacte du phénomène. Néanmoins, cette découverte pourrait mettre fin au débat concernant les groupes souches animaux et remettre en question les théories traditionnelles sur l’évolution des lignées multicellulaires.