Si la course à l’informatique quantique se poursuit à travers le monde, les applications pratiques de ces ordinateurs à la puissance de calcul inégalée restent assez théoriques. L’un des freins majeurs à leur mise en œuvre est la complexité de la correction des erreurs de calcul. Une équipe de chercheurs autrichiens vient pourtant de publier des recherches dans lesquelles ils affirment avoir trouvé le moyen de surmonter cet obstacle clef.
C’est un sujet sur lequel les physiciens spécialisés en physique quantique semblent s’accorder. La détection et la correction des erreurs de calcul sont une nécessité pour rendre les ordinateurs quantiques exploitables d’une façon concrète. Pourtant, parvenir à corriger ces fameuses erreurs n’est pas une mince affaire. En effet, les ordinateurs quantiques ont un principe de fonctionnement très différent de nos ordinateurs classiques.
Un ordinateur quantique permet en effet de faire des calculs en s’appuyant sur les principes de physique quantique. C’est-à-dire, pour résumer, la science qui s’intéresse au comportement de la matière et de la lumière à un niveau microscopique ou atomique. En étudiant la façon dont la matière se comporte à ce niveau, certains principes physiques, très différents de ce que l’on connaissait jusqu’alors, sont apparus aux chercheurs.
Dans le domaine des ordinateurs quantiques, ce qui constitue la clef de fonctionnement est ce qu’on appelle la « superposition quantique ». Concrètement, il s’agit du fait que quelque chose (ici au niveau atomique) puisse être « dans deux états en même temps », aussi contre-intuitif que cela puisse paraître. Dans le cas d’un ordinateur classique, rappelons que l’unité d’information de base est le « bit ». Celui-ci peut se trouver soit à l’état « 0 », soit à l’état « 1 ». Dans un ordinateur quantique, on trouve une sorte d’équivalent, appelé « qubit ». Grâce à cette loi de superposition, les qubits peuvent être à la fois 0 et 1, et même se situer dans des états superposés, comme 01, 10, 11… C’est cela même qui pourrait leur permettre de déployer une puissance de calcul inégalée.
Cependant, ce point fort peut aussi constituer une faiblesse quand il s’agit de corriger des erreurs de calcul. Or, des erreurs, ces fameux ordinateurs quantiques en font beaucoup ! « Les ordinateurs quantiques sont intrinsèquement beaucoup plus sensibles aux perturbations et nécessiteront donc probablement toujours des mécanismes de correction d’erreurs, car sinon les erreurs se propagent de manière incontrôlée dans le système et des informations seront perdues », explique ainsi un communiqué de l’Université d’Innsbruck, où travaillent les chercheurs qui ont publié leur découverte.
La redondance, une contre-mesure contre les erreurs de calcul
Comme la technique a beaucoup progressé, et que la fabrication est de haute qualité, il n’y a plus beaucoup d’erreurs de calcul en informatique classique. Toutefois, quand une erreur survient, il existe toujours, pour certaines applications critiques, une contre-mesure. Il s’agit de la redondance des données traitées, qui permet d’obtenir une certaine sécurité. Concrètement, l’idée est d’avoir plusieurs copies des données : il est alors assez facile de détecter si une erreur a été commise, car les résultats des calculs divergent.
Or, ce mécanisme n’est théoriquement pas applicable dans le cas d’un ordinateur quantique. En effet, selon le théorème du « no cloning », qui est l’une des lois de la physique quantique, on ne peut pas « copier » l’information quantique. Toutefois, et c’est ce qu’expliquent les scientifiques, « la redondance peut être obtenue en distribuant des informations quantiques logiques dans un état intriqué de plusieurs systèmes physiques, par exemple plusieurs atomes individuels ».
En effet, il faut rappeler que ce qu’on appelle « qubit » est, très concrètement, un atome. En informatique quantique, l’idée est « d’organiser » ces qubits selon divers moyens pour qu’ils interagissent entre eux et se placent dans ces états quantiques requis pour le calculateur. Différents types d’atomes et différents systèmes sont utilisés pour cela. Par exemple, il existe des « pièges magnétiques » pour des ions positifs, ou encore des superconducteurs… Quant à l’intrication quantique; il s’agit d’un « enchevêtrement », entre deux qubits, par exemple, qui permet d’en faire un seul système. Si bien qu’ensuite, même si on les éloigne, il est possible de connaître l’état d’un qubit en mesurant celui de l’autre. Ce phénomène d’intrication est requis pour effectuer un calcul quantique.
On mesure donc l’avancée que peut représenter un système de calcul fonctionnel en qubit, qui de surcroît permettrait de corriger les erreurs. L’équipe de physiciens expérimentaux affirme que pour la première fois, ils ont mis en œuvre un ensemble universel d’opérations de calcul sur des bits quantiques tolérants aux pannes. En d’autres termes, ils ont donc démontré qu’il est possible de programmer un algorithme sur un ordinateur quantique et de faire en sorte que des erreurs inopinées ne faussent pas le résultat final.
Ils ont en plus mis en place ce correctif sur une « porte quantique universelle », ce qui pourrait se révéler d’autant plus utile. Pour mieux l’appréhender, rappelons d’abord ce qu’est une « porte logique » en informatique classique. Les portes logiques permettent les opérations de base que l’on peut réaliser sur un bit (la fameuse unité de base évoquée précédemment, symbolisée par 0 ou 1). C’est ce qui fait que des informations peuvent être entrées pour obtenir un résultat. Différents types de portes logiques permettent, en définitive, de faire de la programmation et de donner les instructions à l’ordinateur.
Des portes quantiques universelles
Différentes « portes logiques » existent aussi en informatique quantique, mais les « portes universelles » sont celles qui permettraient d’effectuer tout type de calcul : « Pour un ordinateur quantique du monde réel, nous avons besoin d’un ensemble universel de portes avec lesquelles nous pouvons programmer tous les algorithmes », explique ainsi Lukas Postler, un physicien expérimental d’Innsbruck. Concrètement, cette « porte » a été réalisée grâce à 16 atomes confinés dans des pièges à atomes. L’information quantique était stockée dans deux bits quantiques logiques, chacun réparti sur sept atomes.
Les chercheurs ont mis en œuvre les opérations sur les qubits logiques de manière à ce que les erreurs causées par les opérations physiques sous-jacentes puissent également être détectées et corrigées, grâce à cette fameuse distribution des informations quantiques. Ils ont donc réalisé « la première implémentation tolérante aux pannes d’un ensemble universel de portes sur des bits quantiques logiques codés ».
Le système obtenu est ainsi plus complexe, mais aussi plus efficace, selon les scientifiques : « L’implémentation tolérante aux pannes nécessite plus d’opérations que les opérations non tolérantes aux pannes. Cela introduira plus d’erreurs à l’échelle des atomes uniques, mais les opérations expérimentales sur les qubits logiques sont meilleures que les opérations logiques non tolérantes aux pannes », se réjouit Thomas Monz, du Département de physique expérimentale de l’Université d’Innsbruck. « L’effort et la complexité augmentent, mais la qualité résultante est meilleure ». La suite de cette aventure quantique consistera à mettre en œuvre ces méthodes sur des ordinateurs quantiques « plus grands, et donc plus utiles », affirment les chercheurs.