Un quinquagénaire, atteint d’un cancer de la tête et du cou, suivi à l’Institut universitaire du cancer de Toulouse (IUCT-Oncopole), a bénéficié d’un vaccin spécialement mis au point pour lutter contre sa maladie. Ce vaccin « sur mesure » a été développé par le laboratoire strasbourgeois Transgene, à partir du séquençage de l’ADN de la tumeur du patient.
Le patient en question, premier Français à bénéficier d’un vaccin individualisé, a déjà été opéré et traité pour son cancer ; il est aujourd’hui en rémission. L’objectif du vaccin qu’il a reçu ce 15 janvier est d’inciter son organisme à développer une immunité spécifique à son cancer, afin d’éviter une éventuelle récidive. Les chercheurs qui encadrent cet essai clinique analysent régulièrement le sang de cette personne, en particulier son taux de globules blancs, afin de vérifier l’efficacité de ce vaccin inédit.
Comme le souligne le professeur Jean-Pierre Delord qui dirige les essais cliniques des vaccins contre les cancers ORL, à l’Oncopole, il ne s’agit pas d’un vaccin préventif (comme il en existe par exemple contre le papillomavirus, à l’origine du cancer du col de l’utérus). Dans le cadre de ces essais de phase I, les participants ont bel et bien développé un cancer : à partir de là, les chercheurs ont pu créer un vaccin correspondant au profil de chaque tumeur, pour éviter une nouvelle prolifération de cellules cancéreuses.
Un nouveau cap franchi dans la médecine personnalisée
Chaque tumeur est unique. « Les cellules cancéreuses vont fabriquer des antigènes qui leur sont propres », précise le professeur Jean-Pierre Delord. D’où l’idée de créer un vaccin spécifique à chacune, à partir de leur profil génétique. C’est pourquoi l’Oncopole collabore avec la société Transgene, spécialisée dans l’immunothérapie contre les cancers. Il est question ici de comparer l’ADN des cellules saines d’un patient, avec l’ADN de ses cellules cancéreuses, soit des milliards de données qui doivent être analysées en un laps de temps très court. C’est là qu’interviennent les supercalculateurs de Transgene. Selon l’Oncopole, il est possible de mettre à disposition une immunothérapie individualisée en seulement 3 mois.
Le séquençage permet de détecter des protéines anormales, qui pourraient déclencher une réponse immunitaire ; une fois ces protéines identifiées, il est possible de concevoir un vaccin spécifique, destiné à entraîner les lymphocytes T — des leucocytes responsables de l’immunité cellulaire, chargés de détruire toute cellule reconnue comme étrangère à l’organisme — à détecter et à combattre les cellules tumorales. Cette stratégie, baptisée immunothérapie TG4050, s’appuie sur la connaissance de toutes les mutations génétiques propres à la tumeur, qui sont à l’origine des « néo-antigènes » disposés à la surface des cellules cancéreuses. Pour chaque patient, une trentaine de mutations sont ainsi sélectionnées.
Cette immunothérapie individualisée est un procédé complexe, qui fait appel au séquençage haut débit, au stockage big data et à l’intelligence artificielle. Transgene s’appuie notamment sur sa plateforme myvac®. Cette plateforme permet de générer une immunothérapie reposant sur un virus capable de diriger le système immunitaire contre une sélection de mutations spécifiques aux cellules cancéreuses de chaque patient (appelées néo-antigènes).
Ces mutations sont identifiées et sélectionnées par le système de prédiction de néo-antigènes (Neoantigen Prediction System, ou NPS) de NEC, une approche technologique avancée utilisant une IA ; cet outil de profilage a été entraîné sur des bases de données immunitaires internes et publiques et est capable de hiérarchiser les néo-antigènes les plus immunogènes de chaque tumeur. TG4050 a été conçu pour cibler jusqu’à 30 néo-antigènes spécifiques à chaque patient.
Une arme de précision biotechnologique
Les patients atteints d’un cancer de la tête et du cou ne disposent à ce jour d’aucun traitement efficace pour prévenir les récidives ; et la moitié de ces patients à haut risque sont confrontés à une reprise de la maladie dans l’année suivant le traitement initial. L’immunothérapie TG4050 peut donc répondre au besoin médical de ces patients, que ce soit en monothérapie ou en combinaison avec les traitements standards.
Suite à cette première injection, jusqu’à trente autres patients en rémission d’un cancer ORL (en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis) devraient à leur tour tester un vaccin développé spécialement pour eux. L’équipe précise qu’il ne s’agit pas ici de cancers viro-induits (une partie des cancers ORL sont en effet provoqués par une infection par papillomavirus humain). Un traitement personnalisé sera créé pour chaque patient, après son opération chirurgicale, en parallèle d’un traitement adjuvant.
La moitié des participants recevra le vaccin thérapeutique immédiatement après avoir terminé le traitement adjuvant ; l’autre moitié le recevra lors de la récidive de la maladie, en complément du traitement standard. « Nous allons nous assurer de l’innocuité du vaccin et surtout que leur système immunitaire a déclenché une réponse contre les antigènes spécifiques à leur cancer », détaille le professeur Delord. Comme précisé plus haut, le premier résultat attendu de cette réponse ultra ciblée est d’empêcher les récidives. Dans un second temps, il sera question de chercher à guérir définitivement les patients, « ce qui prendra un peu plus de temps », souligne l’oncologue.
À ce jour, seuls deux établissements en France peuvent mener cet essai clinique (l’IUCT-Oncopole et l’Institut Curie). En parallèle, le TG4050 fait aussi l’objet d’un essai de phase I mené auprès de patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire (qui ont toutes déjà subi une chirurgie et une chimiothérapie) ; la première patiente a été traitée aux États-Unis. Les premières données issues de ces deux essais évaluant TG4050 sont attendues au second semestre 2021. Ce vaccin est véritablement porteur d’espoir, car il constitue une « arme de précision biotechnologique » qui pourrait potentiellement s’appliquer à d’autres types de cancer.