Une nouvelle étude révèle de quelle manière le patrimoine génétique influence la transmission des traits phénotypiques et génotypiques, permettant ainsi par exemple de prédire le risque personnel de développer certaines maladie.
Presque tout le monde a un membre de la famille qui aime boire de l’alcool, qui aime le bacon et autres aliments non sains, qui n’aime pas faire de sport mais qui, malgré toutes les probabilités, a vécu heureux jusqu’à un âge avancé, tandis qu’un autre a péri avant son temps, malgré avoir toujours fait attention à son alimentation, à faire de l’exercice et à vivre sainement.
Cela est dû au fond génétique : soit d’innombrables facteurs, généralement subtiles dans le génome, qui diffèrent entre chaque individu et qui affectent la fonction des gènes d’une manière que les scientifiques ne comprennent pas encore.
Une nouvelle étude dirigée par Brenda Andrews et Charles Boone, professeurs au Centre de recherche cellulaire et biomoléculaire Donnelly de l’Université de Toronto, commence à dévoiler comment le contexte génétique façonne les différences entre les membres d’une même espèce.
Andrews est également directeur du centre dans lequel il travaille. Tous deux sont professeurs au département de génétique moléculaire de l’Université de Toronto et membres principaux du programme Genetic Networks du Canadian Institute for Advancement of Research.
Gerry Fink, professeur de génétique au MIT et membre du Whitehead Institute, faisait également partie de l’équipe de recherche. « Le fond génétique biaise notre capacité à interpréter les informations stockées dans un génome individuel », a déclaré Andrews. Il est également difficile pour les médecins de prédire la gravité de la maladie dans des cas relativement simples, où un gène responsable de la maladie est bien connu.
À savoir que deux personnes portant la même mutation qui cause la fibrose kystique par exemple, une maladie pulmonaire héréditaire, peuvent développer une forme légère ou une forme grave de maladie, en raison des différences entre leurs origines génétiques.
Avec environ 3 millions de différences de code ADN entre deux personnes, l’étude des effets génétiques par rapport au patrimoine génétique chez l’être humain, reste quelque chose de très compliqué. Cependant, les scientifiques commencent à progresser dans ce domaine en s’intéressant à des organismes plus simples, tels que la levure.
« Les antécédents génétiques ont le pouvoir de rendre le phénotype original (un résultat physique de la fonction du gène) plus ou moins sévère », a déclaré Jing Hou, du laboratoire qui a dirigé l’étude. Cela est particulièrement vrai pour les maladies humaines, mais également pour la levure, qui est donc un très bon modèle pour l’étudier ! « C’est parce que le génome de la levure est plus petit que celui de l’être humain, et donc plus facile à étudier », a ajouté Hou.
Pour commencer à décoder les effets des fonds génétiques, Hou a comparé la manière dont les mutations géniques se manifestent dans deux souches de levure étroitement apparentées, soit S288c et sigma1278b, ainsi que SC et Σ, respectivement. Les deux souches sont différentes de 0,2% au niveau de l’ADN, ce qui correspond à peu près au même degré de diversité génétique entre deux personnes.
Dans une étude précédente, les laboratoires de Boone et Andrews, en collaboration avec le groupe de Fink, ont établi que des mutations dans 57 gènes (soit environ 1% de tous les gènes de levure), ont des résultats différents entre SC et Sigma, provoquant la mort cellulaire dans l’une ou l’autre des souches, mais pas chez les deux.
Ces gènes sont appelés « gènes létaux conditionnels », et qu’une cellule en ait besoin ou non, dépend d’autres éléments pouvant modifier les gènes. Mais, lesquels ? En accouplant les deux souches, Hou a pu identifier ces gènes modificateurs grâce à leur capacité à masquer les mutations dommageables et à assurer la survie de la descendance hybride.
C’est alors que Hou a découvert que, si la plupart des gènes létaux conditionnels ont plusieurs modificateurs, dont les effets sont plus complexes et plus difficiles à établir, certains n’ont qu’un seul modificateur et sont plus faciles à étudier. C’est notamment le cas des gènes CYS3 et CYS4, qui contribuent à la fabrication de la cystéine, un acide aminé essentiel.
CYS3 et CYS4 sont tous deux conditionnellement létaux chez Sigma, mais pas chez la souche SC, ce qui signifie que les cellules Sigma meurent lorsque l’un des gènes est absent. De plus, Hou a découvert que cela est dû à un seul gène modificateur appelé OPT1, qui agit en aval des gènes CYS et peut compenser leur perte dans la souche SC. Les cellules Sigma portent une mutation du gène OPT1, ce qui les rend totalement dépendantes des gènes CYS pour produire de la cystéine.
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Dans une autre expérience, Hou a examiné 20 souches de levure différentes, parmi environ 1000 isolats trouvés naturellement, dont les génomes ont été séquencés. Cela a donc permis à Hou de trouver un modificateur différent des gènes CYS dans une autre souche utilisée dans la fabrication du saké au vin de riz japonais.
C’est donc avec toutes ces informations que Hou a été capable de scanner les génomes des 1000 isolats de levure et de découvrir avec précision quelles autres souches agiraient comme la levure Sigma, et dépendraient entièrement des gènes de la CYS pour survivre. Pour vous donner une idée, cela revient à pouvoir distinguer, parmi 1000 patients atteints du même trouble génétique, des individus présentant un risque plus élevé de développer une forme plus grave de la maladie.
L’un des objectifs de la médecine de précision est de pouvoir prédire un résultat biologique à partir de la séquence du génome. Ce travail préliminaire sur la levure laisse espérer que des études similaires pourront être effectuées avec des cellules humaines. « En nous basant simplement sur la séquence et sur la connaissance de cette voie, nous pourrions prédire le caractère essentiel des gènes pour l’ensemble de l’espèce. Je pense que nous serons en mesure de prédire le risque de maladie chez l’Homme si nous avons suffisamment de connaissances sur la manière dont les gènes fonctionnent ensemble dans les voies de pénétration », a déclaré Hou.
Cependant, les études sur les interactions des gènes humains n’en sont actuellement qu’à leurs débuts. Mais pour Hou, ce travail se poursuit à une échelle beaucoup plus importante. En effet, c’est en collaboration avec Guihong Tan, associée de recherche au laboratoire, que ces chercheurs travaillent à l’identification de tous les gènes, sur 200 isolats, dont les effets sont modifiés par le fond génétique.