La société allemande BioNTech et le géant pharmaceutique américain Pfizer ont annoncé lundi 9 novembre que le vaccin qu’ils ont développé conjointement, actuellement en phase 3 des essais cliniques, s’était révélé efficace à 90% lors d’analyses intermédiaires. La nouvelle a suscité à la fois beaucoup d’espoir, mais aussi un certain scepticisme parmi la population et la communauté scientifique. Uğur Şahin, PDG de BioNTech, affirme aujourd’hui que son vaccin est la solution pour enrayer la pandémie.
Ainsi, parmi les dizaines de candidats-vaccins en cours de développement, le produit de Pfizer-BioNTech, nommé BNT162b2, pourrait bientôt être approuvé et inoculé à des millions de personnes. Les deux laboratoires ont cependant fourni peu de détails sur leurs essais et plusieurs questions restent sans réponse.
Combien de temps durera l’immunité ? Ce vaccin est-il sans danger pour les personnes fragiles ? Est-il aussi efficace sur les personnes développant des formes asymptomatiques de l’infection ? Jusqu’à ces premiers résultats, le PDG de BioNTech reconnaît qu’il n’était pas certain que son vaccin déclenche une réaction immunitaire suffisamment forte pour lutter contre le virus. Aujourd’hui, Uğur Şahin est catégorique : « Si la question est de savoir si nous pouvons arrêter cette pandémie avec ce vaccin, alors ma réponse est : oui ».
Un vaccin qui lutte « de plusieurs manières »
À noter que les résultats obtenus récemment ne prouvent pas formellement que le vaccin empêche la transmission du virus. Ils montrent simplement qu’il empêche les personnes infectées de tomber malades. Ainsi, le virus pourrait continuer à se propager — infectant au passage les personnes non vaccinées. Néanmoins, de par l’importante efficacité constatée (90%), Şahin estime que son vaccin pourrait bel et bien être capable de limiter aussi la transmission.
Ce candidat-vaccin est capable d’attaquer le SARS-CoV-2 « de plus d’une manière » selon le PDG de BioNTech. En effet, pour commencer, il empêche les particules virales d’accéder aux cellules de l’organisme. Puis, dans le cas où certaines parviennent tout de même à se frayer un chemin et à pénétrer dans les cellules, les lymphocytes T sont là pour les éliminer. « Nous avons très bien entraîné le système immunitaire pour perfectionner ces deux mouvements défensifs. Nous savons maintenant que le virus ne peut pas se défendre contre ces mécanismes », explique Şahin.
Rappelons qu’il s’agit d’un vaccin à ARN messager — injecté dans les cellules, il leur donne l’ordre, en quelque sorte, de synthétiser des protéines similaires aux protéines de pointe du SARS-CoV-2, afin de déclencher une réaction immunitaire et ainsi synthétiser les anticorps qui seront capables de lutter contre le virus. Cette technique inédite (jamais un tel vaccin n’a encore été approuvé pour une utilisation sur l’Homme) nécessite simplement le code génétique du virus. De ce fait, le temps de production est largement réduit, de près de trois mois.
Le BNT162b2 est donc le fruit d’un développement éclair, rendu possible par l’expertise de Pfizer en matière de vaccins destinés au marché de masse, et aussi par l’action rapide des autorités réglementaires. Résultat : les scientifiques ont obtenu en une dizaine de mois seulement ce qui nécessite habituellement plusieurs années de recherche et développement. Si l’on peut s’en réjouir, c’est justement la rapidité du processus qui suscite tant de suspicion parmi la population. Ces quelques mois suffisent-ils à garantir l’innocuité à long terme du produit ?
Des mois de recherches pour lever les derniers doutes
Şahin a reconnu que plusieurs questions cruciales concernant l’efficacité du vaccin ne seront résolues que dans les semaines et mois à venir. Déterminer notamment s’il peut également stopper les infections asymptomatiques pourrait prendre près d’un an de recherches supplémentaires. Les essais intermédiaires n’ont pas non plus permis de vérifier si le vaccin fonctionne de la même manière ou non sur des personnes de différents groupes ethniques. Quant à savoir si le niveau de protection varie selon l’âge des individus, des éléments de réponse sur ce point devraient être disponibles dans environ trois semaines, selon le PDG du laboratoire.
Quid de la durée de l’immunité ? « Nous n’avons pour l’instant que des indices indirects », déclare Şahin. Des études antérieures sur des patients atteints de COVID-19 ont toutefois montré que ceux qui avaient développé une forte réponse immunitaire présentaient toujours ces défenses six mois après l’infection. Par conséquent, l’inoculation du vaccin pourrait avoir le même effet. Ainsi, il est fort probable que les participants ayant reçu deux injections dans le bras, à trois semaines d’intervalle, soient protégés contre le coronavirus pendant au moins un an. Mais le PDG de BioNTech n’exclut pas la possibilité que les injections soient à renouveler chaque année, à l’instar du vaccin contre la grippe.
Fait notable : le timing de l’annonce a suscité de vives critiques de la part de Donald Trump, qui accuse les deux entreprises d’avoir sciemment retenu la nouvelle jusqu’à la fin des élections présidentielles « parce qu’elles n’avaient pas eu le courage de le faire avant ». Des propos démentis par BioNTech et Pfizer : Şahin a déclaré avoir été informé des résultats intérimaires le dimanche à 20 heures, via un appel d’Albert Bourla, directeur général de Pfizer, qui n’avait lui-même été informé que trois minutes plus tôt par le comité de surveillance indépendant. Şahin s’est évidemment offusqué de cette réaction : « La recherche pharmaceutique ne doit jamais être politisée. C’est une question d’intégrité. La rétention d’informations aurait été contraire à l’éthique », rappelle-t-il.
En attendant, les actions de BioNTech — à l’instar des actions de Pfizer — ont grimpé en flèche suite à l’annonce de ce lundi. La valeur totale de ses actions s’élève désormais à 21,9 milliards de dollars. Interrogé au sujet de cette somme importante, Şahin a estimé que cela n’était que des « nombres sur des morceaux de papier » et que cet argent servira sans aucun doute à soutenir une fondation ou financer un nouveau projet. De son côté, le jour même de l’annonce, le PDG de Pfizer a vendu pour 5,6 millions de dollars d’actions du laboratoire.
C’est en 2008 que Uğur Şahin et sa femme, Özlem Türeci, passionnés de biologie, fondent BioNTech. Elle en devient la médecin-chef, il prend la tête de la société. Tous deux sont les enfants de migrants turcs qui se sont installés en Allemagne à la fin des années 1960. Mais en aucun cas, ils ne veulent servir de « modèles » pour les jeunes Allemands issus de l’immigration. « Je pense que nous avons besoin d’une vision globale qui donne à chacun une chance égale. L’intelligence est également répartie entre toutes les ethnies, c’est ce que montrent toutes les études. […] J’aurais pu être aussi bien allemand qu’espagnol », souligne Şahin.
Un couple qualifié de « modeste » et « d’humble » par son entourage, motivé davantage par la médecine que par l’argent, qui malgré tout, pourrait marquer l’histoire d’une pierre blanche si l’efficacité de leur vaccin se confirme.