Des archéologues ont rendu publique l’une des plus grandes collections d’art rupestre d’Amérique du Sud, datée d’environ 12’500 ans : des dizaines de milliers de peintures représentant des animaux et des humains, qui s’étendent sur près de huit kilomètres. Surnommé « la chapelle Sixtine des anciens », ce site, situé en Colombie, constitue une preuve du fait que les premiers habitants de l’Amazonie vivaient aux côtés d’animaux géants de la période glaciaire aujourd’hui disparus.
Il s’agit effectivement de la plus ancienne représentation d’êtres humains aux côtés d’énormes animaux. Ces multiples dessins permettent d’avoir une autre idée de l’apparence de ces animaux, dont il ne subsiste aujourd’hui que des ossements. Certains représentent également des formes géométriques, des visages humains, des empreintes de mains, ainsi que plusieurs scènes où des personnes interagissent avec la flore et la faune locales.
Le site a été mis à l’honneur dans le cadre du projet LastJourney, dédié à l’étude des premières colonisations humaines en Amérique du Sud, sur lesquelles les scientifiques disposent actuellement de peu d’informations. L’arrivée de l’homme dans cette région pendant le pléistocène supérieur et l’holocène inférieur est en effet une étape importante : elle s’est déroulée au cours de changements climatiques et environnementaux fondamentaux. Le projet vise notamment à analyser l’impact de l’agriculture et de la chasse sur la biodiversité de la région.
Des humains aux côtés de mastodontes
Selon les spécialistes, ces peintures ont été produites sur une période de plusieurs centaines, voire de milliers d’années. Elles ont été découvertes dans la région de Serranía La Lindosa ; de par la richesse de la région en termes d’art rupestre, près de 900 hectares de la Serranía ont été classés comme zone archéologique protégée par l’Institut colombien d’anthropologie en 2018. L’ensemble comprend des milliers de dessins répartis sur trois abris rocheux à Cerro Azul, Limoncillos et Cerro Montoya. Elles ont été réalisées à flanc de falaise, surplombées par la roche qui leur sert d’abri. Cachées et relativement loin des sentiers, elles s’avèrent plutôt inaccessibles ; fort heureusement, les chercheurs ont été guidés par la population locale.
Les dessins suggèrent que des cerfs, des tapirs, des alligators, des chauves-souris, des singes, des tortues, des serpents et des porcs-épics, ainsi que des espèces de la mégafaune de la période glaciaire, côtoyaient régulièrement les humains. Certains de ces grands animaux disparus apparaissent aussi dans d’autres œuvres d’art rupestre amazoniennes, mais les spécialistes estiment que les peintures de ce site sont beaucoup plus réalistes et surtout, en meilleur état. Les falaises de ce type sont la plupart du temps largement exposées aux éléments, mais ici, les peintures sont protégées par une avancée rocheuse et ont donc été relativement bien conservées.
Parmi les anciens animaux apparaissant sur la roche se trouvent un mastodonte, une sorte de paresseux géant, des camélidés, des chevaux et des ongulés à trois doigts. « C’est tellement détaillé, on peut même voir les crins du cheval. C’est fascinant », souligne le professeur José Iriarte, spécialiste de l’histoire amazonienne et précolombienne. Chassées par les humains, mais aussi de par le changement climatique et la perte de leur habitat, ces espèces ont aujourd’hui disparu. « Les peintures donnent un aperçu vivant et passionnant de la vie de ces communautés. Il est incroyable pour nous aujourd’hui de penser qu’elles vivaient parmi et chassaient des herbivores géants, dont certains avaient la taille d’une petite voiture », explique un autre membre de l’équipe, le Dr Mark Robinson, archéologue à l’Université d’Exeter.
Des fouilles réalisées dans le sol du site ont permis d’estimer avec certitude la date de la première occupation de l’Amazonie colombienne par l’Homme. Les archéologues ont également déniché plusieurs indices sur l’alimentation des humains à cette époque, ainsi que des restes d’outils et d’ocre ayant vraisemblablement servi à réaliser les peintures. Certaines sont situées si haut sur la roche que leurs auteurs ont certainement eu recours à des échelles fabriquées à partir des ressources forestières environnantes. Il apparaît également que ces premiers hommes ont exfolié la roche, probablement avec du feu, pour créer des surfaces lisses.
Quand la forêt amazonienne ressemblait davantage à la savane
Selon les éléments recueillis sur les lieux, les communautés qui occupaient la région au moment où les dessins ont été réalisés étaient des chasseurs-cueilleurs, qui pêchaient dans la rivière voisine. Les ossements et les restes de plantes découverts lors des fouilles suggèrent qu’ils se nourrissaient de fruits de palmiers et d’arbres, de piranhas, d’alligators, de serpents, de grenouilles, de rongeurs et de tatous. Ces peintures constituent une preuve de l’impact des premières communautés humaines sur la biodiversité de l’Amazonie et illustrent leur adaptation au changement climatique. « Ces peintures rupestres sont des preuves spectaculaires de la façon dont les humains ont reconstruit ces régions […]. Il est probable que l’art était un élément puissant de la culture et un moyen pour les gens de se connecter socialement », explique José Iriarte.
Au moment où les dessins ont été réalisés, la Terre subissait en effet un bouleversement climatique majeur : les températures montaient, amorçant la transformation de toute la région. Ainsi, la mosaïque de savanes, de broussailles épineuses, de forêts-galeries, de forêts tropicales et de quelques massifs montagneux est devenue peu à peu la forêt amazonienne tropicale à larges feuilles telle qu’on la connaît aujourd’hui. « Je ne pense pas que les gens se rendent compte que l’Amazonie a changé d’apparence. Cela n’a pas toujours été cette forêt tropicale. Lorsque vous regardez un cheval ou un mastodonte dans ces peintures, il apparaît évident qu’ils ne pouvaient pas évoluer dans une telle forêt, ils sont bien trop gros », explique la paléoanthropologue Ella Al Shamahi.
À noter que l’exploration du site a été rendue possible suite au traité de paix de 2016 entre les forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement colombien. Ce site d’art rupestre, et plus globalement l’histoire de la colonisation de l’Amazonie, fait l’objet d’une nouvelle série diffusée actuellement sur Channel 4, Jungle Mystery : Lost Kingdoms of the Amazon. Dirigée et présentée par Ella Al Shamahi, la série met en lumière des civilisations perdues et la découverte de colonies anciennes cachées.