Les neurobiologistes savent depuis de longues années que les activités physiques changent progressivement la structure de certaines zones du cerveau. Ainsi, des activités répétées comme le sport modifient la structure corticale des régions cérébrales responsables de la motricité. Cependant, penser à de telles actions, sans les exécuter physiquement, suffit-il à entraîner les mêmes modifications cérébrales ? Dans une récente étude, des neurobiologistes, en se servant d’interfaces cerveau-ordinateur, ont montré que c’était bien le cas : la pensée permet à elle seule la modification de la structure cérébrale.
Les interfaces cerveau-ordinateur (BCI) fonctionnent sur le principe que des changements mesurables dans l’activité électrique du cerveau se produisent simplement en pensant à l’exécution d’une tâche. Les signaux peuvent être lus par électroencéphalographie (EEG), évalués puis convertis en signaux de contrôle via un système d’apprentissage automatique, qui peut ensuite être utilisé pour faire fonctionner un ordinateur ou une prothèse.
Dans une étude publiée dans la revue Journal of Physiology, des chercheurs de l’Institut Max Planck pour les sciences cognitives et cérébrales humaines de Leipzig, l’Université publique de Navarre et le TU Berlin, ont démontré qu’après seulement une heure de formation avec une BCI, des changements significatifs pouvaient être détectés dans le cerveau des sujets, ce qui signifie que la formation avec la BCI a également des répercussions directes sur la structure neuronale et la fonction du cerveau.
Les interfaces cerveau-ordinateur pour sonder la pensée
L’étude interdisciplinaire a examiné l’influence de deux types différents de BCI sur le cerveau de sujets test n’ayant aucune expérience préalable de cette technologie. Le premier sous-groupe avait pour tâche d’imaginer qu’ils bougeaient les bras ou les pieds, autrement dit, une tâche nécessitant l’utilisation du système moteur du cerveau. La tâche confiée au deuxième groupe concernait le centre visuel du cerveau en leur demandant de reconnaître et de sélectionner des lettres sur un écran.
L’expérience montre que les sujets obtiennent d’emblée de bons résultats dans les tâches visuelles et que la formation continue n’améliore pas ces résultats, alors qu’il est beaucoup plus complexe d’actionner le système moteur du cerveau et qu’il nécessite de la pratique. Afin de documenter les modifications potentielles, les cerveaux des sujets testés ont été examinés avant et après chaque expérience BCI, en utilisant un processus de visualisation spécial — la TRM (tomographie par résonance magnétique).
Structure du cerveau : plasticités fonctionnelle et structurelle
« Nous savons que l’entraînement physique intensif affecte la plasticité du cerveau », déclare Till Nierhaus, de l’Institut Max Planck pour les sciences cognitives et du cerveau. La plasticité se réfère à la capacité du cerveau à changer en fonction de son utilisation. Les scientifiques distinguent ici la plasticité fonctionnelle, où les changements ne se produisent que dans l’intensité des signaux entre les synapses individuelles, et la plasticité structurelle.
La plasticité structurelle fait référence à un changement dans les cellules nerveuses ou même à la formation de nouvelles cellules nerveuses. « Nous nous sommes demandés si ces impacts sur la plasticité du cerveau se produiraient également dans des tâches expérimentales purement mentales via BCI, autrement dit, si les sujets du test pensent uniquement à une tâche sans l’exécuter réellement » déclare Carmen Vidaurre, chercheuse à l’Université publique de Londres.
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La structure cérébrale modifiée uniquement par la pensée
Les résultats ont effectivement montré des changements mesurables dans les régions du cerveau spécifiquement requises pour effectuer les tâches. En d’autres termes, des changements dans les zones visuelles du cerveau chez les sujets testés en fonction de la tâche visuelle et des changements dans la zone motrice chez les sujets testés s’exerçant à imaginer bouger une partie de leur corps. Il est particulièrement intéressant de noter que les changements se sont produits en très peu de temps (une heure) avec la BCI, et non en quelques semaines comme dans le cas de l’entraînement physique.
« Il n’est toujours pas clair si ces changements se produiraient également si les sujets de test ne recevaient pas de retour d’information via le système BCI, indiquant que leurs signaux cérébraux pourraient être lus avec succès » indique Nierhaus. Cependant, les résultats démontrent en général que les effets d’un entraînement avec une interface cerveau-ordinateur pourraient avoir des avantages thérapeutiques en stimulant des régions spécifiques du cerveau.
« La spécificité spatiale des effets obtenus avec la BCI pourrait être utilisée pour cibler les zones du cerveau touchées par les accidents vasculaires cérébraux » conclut Arno Villringer, directeur du département de neurologie du MPI pour la cognition humaine et les sciences du cerveau.