L’autisme se caractérise, entre autres aspects, par la difficulté à reconnaître les émotions faciales sur des visages humains. Mais il se trouve que cette difficulté s’amenuise lorsque les stimuli sont anthropomorphes. Dans une nouvelle expérience, des chercheurs ont évalué la capacité de personnes autistes et neurotypiques à identifier une émotion sur une série de regards humains et leur version cartoon ; pour cette dernière, les autistes ont obtenu de bien meilleurs résultats, ce qui prouve qu’ils sont tout à fait capables de lire les émotions dans certains contextes.
Les évaluations de reconnaissance des émotions faciales sont souvent explicitement conçues pour exploiter les forces neurotypiques et les déficits autistiques. En d’autres termes, les manières neurotypiques de se rapporter au monde sont utilisées comme points de repère à partir desquels sont mesurées les approches neurodivergentes. Par exemple, le test Reading the Mind in the Eyes (RME), largement utilisé pour mesurer la capacité à reconnaître les pensées et les sentiments des autres, a été conçu pour identifier les zones de différences autistiques, telles que l’évitement des yeux.
Mais plutôt que de systématiquement pointer les déficits, la recherche tend aujourd’hui à mettre en évidence les forces inhérentes aux conditions neurodiverses telles que l’autisme. Des études suggèrent que l’une des forces sociocognitives des personnes autistes repose sur l’anthropomorphisme — soit l’attribution de caractéristiques humaines à d’autres entités (animaux, robots, poupées, dessins animés, etc.). Alors que les neurotypiques sont plus aptes à établir des relations avec de vrais humains qu’avec des entités anthropomorphes, la tendance semble s’inverser pour les autistes.
Des différences sociocognitives plutôt que des « déficits »
Des chercheurs du Département de psychologie de l’Université Edge Hill, à Liverpool, ont mené une nouvelle expérience pour approfondir la question. Ils ont recruté 196 participants (98 personnes neurotypiques et 98 personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme, appariées selon l’âge), puis les ont soumis au test RME dans sa version standard, puis dans sa version cartoon — chaque version comportait 36 paires d’yeux.
Les participants devaient identifier quelle émotion exprimaient les yeux dans chaque image, puis indiquer à quel point la tâche était difficile pour eux, sur une échelle allant de 0 (pas du tout difficile) à 100 (très difficile). Les résultats ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre les participants autistes et neurotypiques dans le test standard (utilisant de vrais regards humains).
En revanche, les participants autistes ont obtenu de meilleurs résultats que leurs homologues neurotypiques au test qui reposait sur des yeux de dessins animés, ce qui met en évidence les capacités anthropomorphiques améliorées de nombreuses personnes du spectre autistique. En ce qui concerne la difficulté éprouvée pour accomplir les tests, les deux groupes n’ont rapporté aucune différence significative.
« Les personnes autistes sont souvent décrites comme “aveugles” ou ayant des compétences sociocognitives plus faibles que les neurotypiques. Dans notre test, non seulement les autistes étaient capables de lire les émotions dans les dessins animés, mais ils l’ont fait avec une meilleure précision que les participants neurotypiques », souligne la psychologue Gray Atherton, co-auteure de l’étude.
Ce type de recherche permet de mettre en évidence les contextes dans lesquels les différences entre les personnes autistes et neurotypiques sont atténuées et soutient l’idée que les autistes présentent des différences sociocognitives et non des « déficits ».
Des environnements virtuels pour améliorer les interactions sociales
Le fait que les neurotypiques aient fait moins bien que les personnes autistes pour interpréter les émotions des yeux de dessins animés soulève certains points importants. Cela pourrait suggérer notamment que les personnes autistes parviennent mieux à s’identifier à des agents anthropomorphes. « Nous avons émis l’hypothèse que cela pourrait être dû soit à une motivation réduite pour les agents humains réels, soit à une motivation accrue pour évaluer les agents de dessins animés », notent les chercheurs.
Les statistiques descriptives de l’étude suggèrent toutefois que ces résultats n’étaient probablement pas dus à des personnes autistes « sur-performantes » sur le RME de type cartoon, mais à des neurotypiques (NT) sous-performants sur ce test. « Il semblerait qu’il y ait une spécialisation pour l’humain dans le développement typique. En conséquence, la reconnaissance des émotions faciales anthropomorphes est plus difficile pour les NT », expliquent les auteurs de l’étude.
Cette étude pourrait ainsi aider à mettre en place de nouvelles interventions pour améliorer l’interaction sociale interhumaine des personnes autistes. « Si les yeux anthropomorphes sont plus faciles à lire pour les personnes autistes, on pourrait s’en servir pour aider ces personnes à réagir de la même manière qu’avec les vrais yeux », suggère le psychologue et co-auteur Liam Cross. L’équipe évoque notamment la possibilité d’utiliser la réalité augmentée avec des filtres permettant d’appliquer des visages anthropomorphes sur des visages réels. Au fil du temps, l’utilisateur apprendrait à appliquer la technique de lui-même, sans réalité augmentée.
Les chercheurs soulignent néanmoins que leur étude présente certaines limites, à commencer par l’échantillon des participants, qui était composé en majorité de femmes (à 72%). Or, des recherches antérieures ont montré que les femmes autistes avaient tendance à éprouver moins de difficultés que les hommes dans la reconnaissance des émotions. Le nombre de participants était par ailleurs trop restreint pour mesurer la taille d’effet. Des recherches complémentaires, impliquant un plus grand nombre d’individus, sont donc nécessaires.