Des analyses d’imageries fonctionnelles (IRMf) ont révélé des différences significatives dans le traitement cérébral entre les personnes souffrant de solitude et celles qui n’en souffrent pas. Ces différences seraient significatives non seulement entre les personnes solitaires et non solitaires, mais également entre les individus souffrant de solitude — suggérant que les impacts de la solitude sur le fonctionnement cérébral sont propres à chacun.
En tant qu’humains, nous avons tous un besoin fondamental d’appartenance et de connexion sociale. Lorsque ce besoin n’est pas satisfait, les conséquences peuvent être dévastatrices pour notre santé et notre bien-être. Des recherches ont démontré que le sentiment de détresse accompagnant la solitude est associé à une mortalité accrue, indépendamment d’autres facteurs de morbidité.
Alors que l’on a tendance à penser qu’en étant entourés de nombreuses personnes, nous ne sommes pas seuls, il faut se rappeler que la solitude inclut également la difficulté à se faire comprendre par autrui. La majorité d’entre nous avons probablement ressenti cette forme de solitude, au moins une fois dans notre vie. Par exemple, si les personnes nous entourant ne partagent pas nos valeurs ou centres d’intérêt, on peut se sentir isolé et déconnecté. Ainsi, même bien entourés, nous pouvons tout de même ressentir de la solitude.
D’un autre côté, le sentiment de ne pas être compris suggère que les personnes solitaires pourraient avoir une manière différente de penser ou de voir les choses. Cependant, les rapports subjectifs concernant cette différence entravent la confirmation de cette hypothèse. Dans une nouvelle étude décrite dans la revue Psychological Science, des chercheurs ont utilisé la neuroimagerie fonctionnelle pour vérifier cette théorie.
Les résultats sont révélateurs : dans la façon qu’a leur cerveau de traiter les informations, les personnes non solitaires se ressemblent toutes, tandis que celles souffrant de solitude sont différentes. Entre autres, les personnes souffrant de solitude ont une façon idiosyncratique (spécifique à un individu) de voir les choses. Fait intéressant, les chercheurs ont établi ce principe en s’inspirant d’une citation du célèbre roman russe « Anna Karénine » (de Léon Tolstoï) : « les familles heureuses se ressemblent toutes ; [mais] toute famille malheureuse est malheureuse à sa manière ».
Les effets de la solitude seraient propres à chaque individu
Afin de tester leur hypothèse, les chercheurs, affiliés à l’Université de Californie, ont effectué des imageries par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) de 66 étudiants âgés de 18 à 21 ans. Les réponses neuronales ont été observées selon des stimuli dits « naturalistes » comprenant une série de 14 vidéos traitant différents thèmes (des clips musicaux sentimentaux, des scènes de fêtes et des évènements sportifs). Chaque clip durait entre 91 et 734 secondes. Cette technique permet d’avoir un large éventail de scénarios d’analyse tout en retenant suffisamment l’attention des participants de sorte à minimiser les variables d’égarement (distraction). L’analyse des similitudes entre les réponses neuronales peut capturer les points communs au niveau du traitement des informations entre chaque groupe.
Les participants ont également été invités à effectuer un sondage évaluant leur perception individuelle et subjective de la solitude et de l’isolement social, selon une échelle établie par les chercheurs. Et bien que l’étude se base principalement sur cette perception, les psychologues ont également effectué des analyses supplémentaires, tenant compte de l’isolement social objectif (basé sur le nombre d’amis déclaré). Sur cette base, les participants ont été répartis en deux groupes : solitaires et non solitaires.
Au cours des sondages, des informations démographiques (âge, sexe, origine ethnique, …) ont également été collectées. Les clips vidéo ont été diffusés en continu et ont duré au total 60 minutes pour chaque participant. En parallèle, les sessions d’IMRf (de 90 minutes au total pour chaque volontaire) ont mesuré l’activité cérébrale, dépendant du niveau d’oxygène dans le sang.
En comparant les IRMf des deux groupes, les chercheurs ont découvert que les participants solitaires présentaient des schémas de traitement cérébral particulièrement hétérogènes. Non seulement l’activité ne ressemblait pas à celle des non solitaires, mais elle était également unique à chaque participant du groupe solitaire.
Selon Elisa Baek, psychologue à l’Université de Californie et auteure principale de la nouvelle étude : « il était surprenant de constater que les personnes seules se ressemblaient encore moins ». De leur côté, les personnes non solitaires présentaient des activités cérébrales étonnamment similaires. Ces points communs représentent très probablement un avantage non négligeable dans l’établissement de liens sociaux.
Ces résultats confirment le principe inspiré d’Anna Karénine, suggérant que les personnes seules réfléchissent de manière idiosyncratique. D’après la psychologue : « le fait qu’ils ne trouvent pas de points communs avec des personnes seules ou non rend la création de liens sociaux encore plus difficile pour eux ». Cette unicité comble à la fois les lacunes dans notre compréhension du phénomène, mais souligne également l’importance de prises en charge personnalisées pour les personnes qui en souffrent.
Par ailleurs, les chercheurs ont constaté que les personnes présentant un niveau élevé de solitude (quel que soit leur nombre de relations sociales) étaient plus susceptibles d’avoir une réponse cérébrale unique. Et, étant donné que les connexions sociales fluctuent au fil du temps, le traitement idiosyncratique des informations pourrait également varier en parallèle. Néanmoins, une question fondamentale reste en suspens : le traitement idiosyncratique chez les individus solitaires cause-t-il la solitude, ou est-ce le résultat de la solitude ?