Des physiciens ont mis au point une technique inédite permettant de sonder l’intérieur du noyau atomique au sein d’une molécule, en utilisant ses électrons comme « messagers ». La molécule se comporterait comme un mini-collisionneur de particules, dans lequel les électrons sont accélérés et peuvent brièvement pénétrer dans le noyau atomique pour en étudier le comportement. Appliquée à l’atome de radium, cette approche pourrait fournir des indices sur le déséquilibre matière-antimatière dans l’Univers.
Le modèle cosmologique standard suggère que l’univers primitif contenait des quantités équivalentes de matière et d’antimatière au moment du Big Bang. Cependant, la quasi-totalité de l’antimatière a disparu depuis, l’Univers actuel étant composé presque exclusivement de matière — un constat en profond désaccord avec les prévisions du modèle. Les physiciens en déduisent qu’un processus encore inconnu a dû être à l’origine de cette asymétrie.
Pour tenter d’en percer le mystère, les chercheurs étudient les processus physiques se produisant à l’intérieur même des atomes. Il est ainsi suggéré qu’une violation de symétrie pourrait être observée dans certains noyaux, notamment celui du radium. Contrairement à la plupart des atomes, le noyau du radium n’est pas sphérique, mais adopte une structure en forme de poire. Cette particularité géométrique pourrait permettre de détecter des violations de symétries fondamentales de l’Univers.
« On prévoit que le noyau de radium amplifiera cette rupture de symétrie, car il est asymétrique en charge et en masse, ce qui est assez inhabituel », explique dans un communiqué Ronald Fernando Garcia Ruiz, professeur associé de physique au centre Thomas A. Franck du Massachusetts Institute of Technology (MIT).
L’étude du noyau d’un atome de radium reste toutefois extrêmement complexe : il est naturellement radioactif et possède une durée de vie très courte. Les molécules de monofluorure de radium constituent l’un des principaux systèmes expérimentaux utilisés pour l’étudier, mais elles ne peuvent être produites qu’en quantités infimes.
Par ailleurs, des techniques particulièrement sensibles doivent être employées pour analyser les interactions à l’intérieur des noyaux de radium. Les expériences visant à sonder ces structures reposent généralement sur des collisionneurs de particules — des installations gigantesques — capables d’accélérer des faisceaux d’électrons à des vitesses suffisantes pour pénétrer les noyaux atomiques.
Une molécule amplifiant le comportement des électrons
Dans une étude récemment publiée dans la revue Science, Garcia Ruiz et son équipe proposent une alternative plus accessible : une technique moléculaire réalisable sur une table de laboratoire, permettant de sonder directement le comportement interne du noyau de radium. « Nos résultats ouvrent la voie à des études ultérieures visant à mesurer les violations des symétries fondamentales à l’échelle nucléaire », souligne le chercheur.
Pour mener leur expérience, l’équipe a combiné des atomes de radium et de fluor pour former des molécules de monofluorure de radium. Une fois créées, les molécules provoquaient une forte compression des électrons du radium, augmentant la probabilité qu’ils interagissent avec le noyau et y pénètrent brièvement. Le comportement des électrons de l’atome de radium pouvait également être amplifié en plaçant ce dernier au sein d’une molécule.
« Lorsqu’on insère cet atome radioactif à l’intérieur d’une molécule, le champ électrique interne auquel ses électrons sont soumis est d’un ordre de grandeur supérieur à ceux que nous pouvons produire et appliquer en laboratoire », explique Silviu-Marian Udrescu, chercheur au département de physique du MIT et co-auteur de l’étude. « D’une certaine manière, la molécule se comporte comme un collisionneur miniature de particules et nous offre une meilleure opportunité d’étudier le noyau du radium », ajoute-t-il.

Des « messagers » offrant un aperçu de l’intérieur des noyaux atomiques
Pour vérifier leur hypothèse, les chercheurs ont isolé et refroidi les molécules avant de les faire passer dans un système de chambres à vide. Des faisceaux lasers ont ensuite été introduits pour interagir avec les molécules, permettant de mesurer avec précision l’énergie des électrons internes.
Les résultats ont montré que les électrons présentaient une énergie légèrement différente de celle qui serait attendue lorsqu’ils pénètrent dans le noyau atomique. Bien qu’infime, cette variation d’énergie constituerait une preuve de l’interaction des électrons moléculaires avec les protons et les neutrons à l’intérieur du noyau de radium. En ressortant du noyau, les électrons conservent ce léger décalage d’énergie, agissant comme des “messagers” livrant un aperçu du cœur atomique.
« De nombreuses expériences mesurent les interactions entre les noyaux et les électrons situés à l’extérieur du noyau, dont la nature est bien connue », précise l’auteur principal de l’étude, Shane Wilkins, du département de physique du MIT. « Lorsque nous avons mesuré avec précision l’énergie de ces électrons, les résultats ne correspondaient pas exactement à nos attentes, fondées sur des interactions limitées à l’extérieur du noyau. Cela nous a indiqué que la différence provenait d’interactions électroniques internes », détaille-t-il.
En prochaine étape, l’équipe prévoit d’utiliser cette nouvelle technique pour cartographier la distribution des forces à l’intérieur du noyau atomique de radium. Les résultats s’appuient pour le moment sur des noyaux orientés aléatoirement au sein de chaque molécule portée à haute température. Les chercheurs souhaitent désormais explorer si le refroidissement des molécules et le contrôle de l’orientation de leurs noyaux permettraient de cartographier avec précision leur contenu et de détecter d’éventuelles violations des symétries fondamentales.




