Au cours des dernières années, les recherches en physique des matériaux ont mis en lumière les spectaculaires propriétés du graphène. De la filtration d’eau à la détection électromagnétique en passant par la médecine, ce matériau permet d’améliorer et optimiser de nombreuses technologies. Récemment, des chercheurs ont découvert une autre de ces propriétés étonnantes : lorsqu’il est sous forme de monocouche, le graphène s’agite à l’échelle atomique, et il est possible de convertir cette agitation en une énergie propre et virtuellement illimitée pour alimenter de petits circuits électroniques.
Une équipe de physiciens de l’Université de l’Arkansas (UA) a développé avec succès un circuit capable de capter le mouvement thermodynamique du graphène et de le convertir en courant électrique. « Un circuit de récupération d’énergie basé sur le graphène pourrait être incorporé dans une puce pour fournir une alimentation basse tension propre, illimitée pour les petits appareils ou capteurs », explique Paul Thibado, professeur de physique.
Les résultats, publiés dans la revue Physical Review E, sont la preuve d’une théorie développée par les physiciens de l’UA il y a trois ans, selon laquelle le graphène autonome — une seule couche d’atomes de carbone — ondule et se déforme de telle manière qu’il soit possible d’en extraire de l’énergie.
Deux diodes pour tirer de l’énergie du graphène
L’idée de tirer de l’énergie du graphène est controversée, parce qu’elle réfute l’affirmation bien connue du physicien Richard Feynman selon laquelle le mouvement thermique des atomes, connu sous le nom de mouvement brownien, ne peut pas fournir de l’énergie. L’équipe de Thibado a découvert qu’à température ambiante, le mouvement thermique du graphène induit en fait un courant alternatif (AC) dans un circuit.
Dans les années 1950, le physicien Léon Brillouin a publié un article historique réfutant l’idée que l’ajout d’une seule diode (une porte électrique unidirectionnelle) à un circuit, était la solution pour récupérer l’énergie du mouvement brownien. Sachant cela, le groupe de Thibado a construit son circuit avec deux diodes pour convertir le courant alternatif en courant continu (DC). Avec les diodes en opposition permettant au courant de circuler dans les deux sens, elles fournissent des chemins séparés à travers le circuit, produisant un courant continu pulsé qui effectue un travail sur une résistance de charge.
De plus, ils ont découvert que leur système augmentait la quantité d’énergie fournie. « Nous avons également constaté que le comportement marche-arrêt des diodes, de type interrupteur, amplifie en fait la puissance délivrée, plutôt que de la réduire, comme on le pensait auparavant. Le taux de changement de résistance fourni par les diodes ajoute un facteur supplémentaire à la puissance », indique Thibado.
Un courant basses fréquences intéressant pour les technologies électroniques
L’équipe a utilisé un domaine relativement nouveau de la physique pour prouver que les diodes augmentaient la puissance du circuit. « Pour prouver cette amélioration de puissance, nous nous sommes inspirés du domaine émergent de la thermodynamique stochastique et avons étendu la célèbre théorie de Nyquist, vieille de près d’un siècle », explique Pradeep Kumar. La théorie de Nyquist est une théorie d’échantillonnage régissant la conception de circuits électroniques à signaux mixtes, notamment dans le cas de la transformation AC/DC.
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Selon Kumar, le graphène et le circuit partagent une relation symbiotique. Bien que l’environnement thermique applique un travail sur la résistance de charge, le graphène et le circuit sont à la même température et la chaleur ne circule pas entre les deux. C’est une distinction importante, car une différence de température entre le graphène et le circuit, dans un circuit produisant de l’énergie, contredirait la deuxième loi de la thermodynamique sur l’entropie. Cela signifie donc que la deuxième loi de la thermodynamique n’est pas violée.
L’équipe a également découvert que le mouvement relativement lent du graphène induit un courant dans le circuit à basse fréquence, ce qui est important d’un point de vue technologique, car l’électronique fonctionne plus efficacement aux basses fréquences. « Les gens peuvent penser que le courant circulant dans une résistance la fait chauffer, mais pas le courant brownien. En fait, si aucun courant ne circulait, la résistance refroidirait. Ce que nous avons fait, c’est rediriger le courant dans le circuit pour le transformer en quelque chose d’utile », explique Thibado.
Le prochain objectif de l’équipe est de déterminer si le courant continu peut être stocké dans un condensateur pour une utilisation ultérieure, un objectif qui nécessite de miniaturiser le circuit et de le structurer sur une plaquette ou une puce de silicium. Si des millions de ces minuscules circuits pouvaient être construits sur une puce de 1 millimètre sur 1 millimètre, ils pourraient servir d’alternative de batterie de faible puissance.