L’informatique quantique progresse à grands pas, avec son panel d’applications et de branches de développement, dont le tant attendu Internet quantique. Le principal avantage d’une transmission d’informations quantique est la mise en place d’un système de cryptage à toute épreuve, rendant théoriquement impossible toute tentative d’espionnage des communications. Récemment, des chercheurs ont conçu ce qui semble être le tout premier « modem » quantique, destiné à gérer les futures connexions Internet quantiques.
L’informatique quantique permettra de briser le chiffrement asymétrique et les algorithmes RSA, utilisés dans presque tous les domaines de la sécurité Internet. Le chiffrement RSA repose sur la difficulté de factoriser les grands nombres en nombres premiers, mais avec des calculs quantiques, il deviendrait possible de casser l’algorithme asymétrique. Des mathématiciens étudient donc désormais la cryptographie quantique, dans le but de concevoir des algorithmes de chiffrement capables de résister aux piratages.
La première révolution quantique a donné naissance à l’électronique des semi-conducteurs, au laser et enfin à l’internet. La deuxième révolution quantique à venir promet une communication à l’épreuve des espions, des capteurs quantiques extrêmement précis et des ordinateurs quantiques pour des tâches de calcul jusqu’alors insolubles. Mais cette révolution n’en est encore qu’à ses balbutiements. Un objet de recherche central est l’interface — en quelque sorte l’équivalent du modem actuel — entre les dispositifs quantiques locaux et les quanta de lumière qui permettent la transmission à distance d’informations quantiques hautement sensibles.
Un système intégrable aux réseaux de fibre optique actuels
Depuis quelques années, le groupe Otto-Hahn « Quantum Networks » (« Réseaux quantiques ») de l’Institut Max-Planck d’optique quantique de Garching mène des recherches sur un tel « modem quantique ». L’équipe a maintenant réalisé une première percée dans le cadre d’une technologie relativement simple, mais très efficace, qui peut être intégrée dans les réseaux de fibre optique existants. Les résultats ont été publiés cette semaine dans la revue Physical Review X.
« À l’avenir, un internet quantique pourrait être utilisé pour connecter des ordinateurs quantiques situés à différents endroits », déclare le physicien Andreas Reiserer, qui dirige le groupe de recherche indépendant Otto-Hahn « Quantum Networks » à l’Institut Max-Planck d’optique quantique. « Cela augmenterait considérablement leur puissance de calcul ! ».
L’internet quantique consiste donc essentiellement en la mise en réseau mondiale de nouvelles technologies qui font au moins partiellement usage de la physique quantique. Toutefois, cela nécessite des interfaces appropriées pour les informations quantiques extrêmement sensibles.
Et il s’agit d’un défi technique énorme, c’est pourquoi de telles interfaces sont au centre de la recherche fondamentale. Elles doivent garantir que les bits quantiques stationnaires pour les courtes interactions interagissent efficacement avec les bits quantiques « volants » pour les communications à longue distance, et ce sans détruire l’information quantique. Les qubits (l’équivalent quantique d’un bit informatique) stationnaires seront situés dans des dispositifs locaux, par exemple la mémoire ou le processeur d’un ordinateur quantique. Qu’est-ce qu’un qubit « volant » ? Il s’agit généralement d’un quanta de lumière, d’un photon, qui transporte l’information quantique dans l’air, dans le vide spatial ou à travers des réseaux de fibres optiques.
Une connexion délicate entre les bits quantiques
Le « modem quantique » est conçu pour établir efficacement une connexion entre les qubits volants et stationnaires. Pour cela, l’équipe autour du doctorant Benjamin Merkel a développé une nouvelle technologie et vient de faire une démonstration de ses fonctionnalités de base. Son avantage crucial est qu’il pourrait être intégré au réseau de télécommunications à fibres optiques existant. Ce serait le moyen le plus rapide de faire progresser une mise en réseau fonctionnelle à longue distance des technologies quantiques.
Pour que ce système fonctionne, les photons envoyés ou reçus par le modem en tant que porteurs d’informations quantiques doivent être adaptés avec précision à la longueur d’onde infrarouge de la lumière laser utilisée pour les télécommunications. Cela signifie que le modem doit avoir des qubits au repos qui peuvent réagir précisément à ces photons infrarouges avec un saut quantique. Ce n’est qu’ainsi que les informations quantiques sensibles peuvent être transmises directement entre les qubits au repos et les qubits volants.
Des recherches approfondies menées par le groupe de Garching ont montré que l’élément erbium (un métal appartenant au groupe des terres rares) est le mieux adapté à cette fin. Ses électrons peuvent effectuer un saut quantique parfaitement adapté. Malheureusement, les atomes d’erbium sont très réticents à faire ce saut quantique. Ils doivent donc être fixés dans un environnement qui les « oblige » à réagir plus rapidement.
Pour résoudre ce problème, les atomes d’erbium et les photons infrarouges sont enfermés dans un espace approprié aussi longtemps que possible. « On peut considérer cela comme une fête, qui devrait stimuler la meilleure communication possible entre, disons, dix invités », explique Reiserer. La taille de l’espace est ici cruciale. « Dans un stade de football, les invités se perdraient, une cabine téléphonique serait à son tour trop petite, mais un salon ferait l’affaire », ajoute-t-il.
Mais la fête serait vite terminée, car les photons voyagent à la vitesse de la lumière et sont donc très volatiles et toujours tentés de partir. C’est pourquoi le modem quantique de Garching utilise un minuscule compartiment composé de miroirs (que nous appellerons ici « armoire à miroirs ») comme « salon ». L’équipe a donc emballé les atomes dans un cristal transparent fait d’un composé de silicate d’yttrium, qui est cinq fois plus fin qu’un cheveu humain. Ce cristal, à son tour, est placé en sandwich entre deux miroirs presque parfaits. Pour éliminer l’oscillation thermique des atomes (destructrice pour l’information quantique), l’ensemble est refroidi à moins 271 °C (proche du 0 absolu).
Un véritable processeur de communications
Les photons piégés entre les miroirs sont réfléchis d’avant en arrière à travers le cristal, comme des balles de ping-pong. Ils passent si souvent à côté des atomes d’erbium que ces derniers ont le temps de réagir avec un saut quantique. Par rapport à une situation sans « armoire à miroirs », cela se passe beaucoup plus efficacement et presque soixante fois plus rapidement. Comme les miroirs, malgré leur perfection, sont également légèrement perméables aux photons, le modem peut se connecter au réseau.
« Nous sommes très heureux de ce succès », déclare Reiserer. Dans une prochaine étape, lui et son équipe souhaitent améliorer l’expérience de manière à ce que les atomes d’erbium individuels puissent être adressés en qubits via la lumière laser.
Et il ne s’agit pas seulement d’une étape importante vers un modem quantique utilisable… En effet, les atomes d’erbium en tant que qubits dans un cristal peuvent même servir directement de processeur quantique, qui est la partie centrale d’un ordinateur quantique. Cela rendrait le modem facilement compatible avec de tels terminaux quantiques.
Avec une solution aussi élégante, des « répéteurs quantiques » de construction relativement simple deviendraient également possibles. Tous les cent kilomètres, ces dispositifs devraient compenser les pertes croissantes d’informations quantiques transportées par les photons dans le réseau de fibres optiques. Ces « répéteurs quantiques » font également l’objet de recherches internationales. « Bien qu’un tel dispositif basé sur notre technologie coûterait environ cent mille euros, une utilisation généralisée ne serait pas irréaliste », déclare Reiserer. Le modem quantique de Garching est encore un dispositif purement expérimental, mais il a le potentiel de faire progresser la réalisation technique d’un internet quantique mondial, révolutionnant la sécurité et la rapidité du transport de l’information.