Des physiciens reproduisent les effets de l’intrication quantique… sans particules intriquées !

Un célèbre test physique connu sous le nom de « test de Bell ».

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Des chercheurs chinois affirment avoir réussi le test de Bell – conçu pour déterminer si des corrélations quantiques non locales peuvent émerger d’autres propriétés quantiques que l’intrication – sans utiliser de particules intriquées. Connu comme l’un des examens les plus rigoureux en physique quantique, ce test de non-localité n’avait, jusqu’à présent, jamais été validé en l’absence d’intrication. Ce résultat reposerait sur une propriété surprenante : l’« indiscernabilité quantique par identité de chemin ».

Les mouvements et interactions à l’échelle macroscopique obéissent aux lois bien établies de la physique classique. L’une de ses règles fondamentales veut qu’aucune information ne puisse se propager plus vite que la lumière. Or, dès les années 1930, les physiciens ont constaté que le comportement des particules subatomiques échappait à ces lois, relevant d’une physique radicalement différente.

Parmi ces phénomènes étranges figure l’intrication quantique : un processus par lequel deux particules peuvent conserver un lien d’interdépendance immédiate, quelle que soit la distance qui les sépare. Cette « non-localité » apparente défie le bon sens, car elle suggère qu’une particule pourrait influencer instantanément l’état d’une autre, au mépris de toute transmission d’information à vitesse finie.

Longtemps, cette capacité à violer le réalisme local – la notion selon laquelle les objets possèdent des propriétés bien définies indépendamment de l’observation, et que toute interaction est limitée par la vitesse de la lumière – a été considérée comme une caractéristique exclusive des particules intriquées.

En 1964, le physicien nord-irlandais John Stewart Bell a pourtant avancé l’idée que la non-localité pourrait, en théorie, découler d’autres propriétés quantiques. Il a alors formalisé le célèbre « test de Bell », qui vise à départager un monde régi par le réalisme local, d’un monde où ce principe est violé via des « inégalités de Bell ».

Jusqu’ici, toutes les violations documentées de ces inégalités avaient été obtenues à l’aide de particules intriquées. Ce lien semblait si étroit qu’il fondait toute l’architecture des technologies quantiques, des ordinateurs quantiques aux réseaux de communication quantique sécurisée.

Or, une étude récemment publiée dans Science Advances par une équipe de l’université de Nanjing, en Chine, remet cette équation en question. Les chercheurs affirment avoir observé une violation de l’inégalité de Bell sans faire appel à l’intrication. Selon eux, cette découverte offrirait une perspective inédite sur l’origine des corrélations non locales, tout en suggérant de nouvelles pistes pour l’ingénierie quantique.

Réussite de l’un des tests les plus complexes en physique quantique ?

L’expérience menée visait à tester si un système multipartite – constitué ici de quatre photons – pouvait exhiber des corrélations non locales en l’absence totale d’intrication. Autrement dit, les chercheurs ont tenté de savoir si le réalisme local pouvait être mis en défaut sans mobiliser l’intrication traditionnelle.

Pour cela, ils ont utilisé un faisceau laser traversant un cristal non linéaire, qui génère des photons par paires dans un schéma d’interférences croisés. Le dispositif, soigneusement conçu, inclut quatre cristaux, des séparateurs de faisceaux, des lentilles et deux détecteurs distincts. L’architecture optique empêche toute intrication spontanée des photons avant leur détection, qu’elle soit due à la polarisation, à la fréquence ou à d’autres degrés de liberté. Des composants ont même été ajoutés pour exclure toute corrélation parasite.

L’analyse se concentre sur des coïncidences à quatre photons, générés par quatre sources indépendantes. Ces photons sont préparés de telle manière qu’il est impossible de distinguer leur origine. Cette indiscernabilité par identité de chemin devient alors la clef de voûte de l’expérience.

Selon les résultats, les photons ont manifesté une violation de l’inégalité de Bell avec un écart statistique significatif : plus de quatre écarts-types au-delà du seuil requis pour valider le test. Or, dans un tel système sans intrication, cette violation ne peut s’expliquer que par l’indiscernabilité quantique par l’identité de chemin – une propriété selon laquelle deux ou plusieurs particules deviennent indiscernables dans leurs chemins et interagissent comme si elles étaient liées.

« Nous rapportons ici la violation de l’inégalité de Bell, non explicable par l’intrication quantique dans le système, mais résultant de l’indiscernabilité quantique par l’identité de chemin, mise en évidence par l’interférence frustrée multiphotonique », écrivent les auteurs. Et d’ajouter : « Notre travail établit un lien entre la corrélation quantique et l’indiscernabilité quantique, fournissant des informations sur l’origine fondamentale des caractéristiques contre-intuitives observées en physique quantique. »

Une expérience qui présente des limites

Toutefois, l’étude présente des limites. L’une d’entre elles est l’utilisation de la post-sélection, un procédé consistant à ne conserver que certains événements détectés, ce qui pourrait introduire un biais. Ce problème, connu sous le nom de detection loophole, est fréquemment observé dans le contexte des expériences de type Bell. Des travaux antérieurs ont mis en lumière le rôle potentiellement trompeur de la post-sélection dans les interprétations des corrélations non locales.

Une autre faiblesse réside dans la précision du dispositif de détection : un défaut dans la séparation des phases entre les détecteurs pourrait affecter la localisation des photons et, par conséquent, la validité des corrélations observées.

Conscients de ces lacunes, les auteurs reconnaissent qu’il faudra encore raffiner la méthodologie expérimentale. « Nous nous attendons non seulement à ce que les failles adaptées et les variables cachées locales du travail rapporté ici puissent être identifiées, mais nous nous attendons également à ce qu’elles soient systématiquement exclues par les améliorations matérielles des dispositifs et expériences photoniques quantiques de haute qualité, comme nous l’avons constaté au cours des 90 années d’efforts dans les violations du réalisme local avec des particules intriquées », concluent-ils.

Source : Science Advances
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