L’observatoire spatial développé conjointement par la NASA, l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence spatiale canadienne (ASC) est bientôt prêt à prendre son envol : les équipes viennent de « faire le plein » d’ergol, indispensable pour manœuvrer l’engin équipé de 12 propulseurs jusqu’à l’emplacement prévu (le point de Lagrange L2). Le lancement est prévu pour le 22 décembre prochain.
L’opération était particulièrement délicate. En effet, les propulseurs du télescope utiliseront soit du carburant à base d’hydrazine, soit un mélange spécial de carburant à base d’hydrazine et d’un oxydant, le tétroxyde de diazote — des substances extrêmement toxiques, qu’il faut manipuler avec précaution. Le remplissage a débuté le 25 novembre et a duré une dizaine de jours. Les opérateurs du Port spatial européen, à Kourou, étaient équipés de combinaisons SCAPE (Self-Contained Atmospheric Protective Ensemble) pendant toute la procédure.
Au total, ce sont 159 litres d’hydrazine et 79,5 litres de tétroxyde de diazote qui ont été injectés dans la navette spatiale, précise la NASA. Carburant et oxydant seront utilisés ensemble pour augmenter la puissance des propulseurs secondaires à combustion augmentée du télescope ; ces derniers serviront à corriger la trajectoire à mi-parcours, à assurer la mise en orbite de l’engin (à 1,5 million de kilomètres de la Terre !), ainsi qu’à maintenir sa position au point de Lagrange L2 pendant toute la durée de la mission.
En route vers l’assemblage final !
Si la grande majorité de l’énergie de lancement nécessaire pour envoyer Webb sur son orbite opérationnelle autour du point de Lagrange L2 du système Soleil-Terre sera fournie par la fusée Ariane 5, l’observatoire possède aussi ses propres propulseurs. Après s’être libéré du lanceur, Webb utilisera ces derniers pour affiner son approche. Ainsi, juste après le lancement, les équipes au sol devront effectuer plusieurs manœuvres pour guider l’observatoire jusqu’à l’emplacement prévu.
Des manœuvres de correction à mi-parcours pour affiner la trajectoire sont notamment prévues pendant 12,5 heures et 2,5 jours après le lancement, puis un mois plus tard, pour faciliter l’entrée de Webb dans son orbite. Ces mêmes propulseurs seront utilisés périodiquement tout au long de la mission pour maintenir cette position. Un deuxième ensemble de propulseurs plus petits — qui seront quant à eux alimentés uniquement par de l’hydrazine — servira à compenser l’augmentation de moment angulaire causée par la pression du rayonnement solaire sur la grande surface de l’écran solaire.
Bien que l’engin ait été conçu pour maintenir cette pression bien équilibrée, le moment angulaire augmente lorsque le télescope pointe vers différentes cibles, de sorte que de petites manœuvres occasionnelles de « déchargement » sont nécessaires pour maintenir les roues de réaction de l’observatoire dans leurs plages de fonctionnement appropriées. Les roues de réaction sont des « volants » intégrés au vaisseau spatial Webb qui aident à maintenir l’orientation de la charge utile stable.
Maintenant que le chargement du combustible est achevé, les équipes d’Arianespace et de la NASA vont pouvoir préparer le lancement. Il s’agira notamment de déplacer le télescope vers le Bâtiment d’Assemblage Final (BAF), de le positionner au sommet de la fusée Ariane 5 qui servira à l’envoyer dans l’espace, puis à l’encapsuler dans son carénage de protection. Une fois ces étapes accomplies, l’ensemble quittera le BAF pour rejoindre la rampe de lancement, deux jours avant la date prévue.
Une préparation qui requiert une vigilance continue
À noter que James-Webb a également bénéficié d’un soin tout particulier pour le garder exempt de poussières. Contrairement à Hubble, dont le télescope est enfermé dans un tube protecteur, Webb ne sera protégé que par l’ombre du pare-soleil une fois dans l’espace. C’est pourquoi l’environnement du télescope doit être maintenu aussi propre que possible, tant qu’il est sur Terre : il faut notamment s’assurer que les miroirs et le pare-soleil ne soient pas contaminés par de petites particules ou des films moléculaires, qui pourraient réduire sa sensibilité.
Les équipes de la NASA, de l’ESA, d’Arianespace et du Centre national d’études spatiales (CNES) ont donc coopéré pour nettoyer les installations de lancement conformément aux exigences de l’engin. Le Goddard Space Flight Center de la NASA a notamment fourni des murs de filtres HEPA (High Efficiency Particulate Air) portables pour renforcer le contrôle de la contamination du flux d’air à proximité de la charge utile. Chaque surface est en outre nettoyée quotidiennement. « Nos ingénieurs et techniciens de la NASA chargés du contrôle de la contamination ont transformé des installations qui n’étaient pas conçues pour des engins spatiaux scientifiques en salles blanches bien contrôlées », confirment Eve Wooldridge et Alan Abeel, ingénieurs en contamination. Reste à faire de même pour les installations du BAF.
Le James Webb est le télescope spatial le plus grand, le plus important et le plus complexe jamais construit. Il mettra au total 20 jours à se déployer (car il est évidemment chargé dans la fusée sous sa forme repliée) et une trentaine de jours à atteindre sa destination. Les quatre instruments embarqués lui permettront d’effectuer ses observations dans l’infrarouge proche et moyen (de 0,6 à 28 µm) ; ils devront toutefois être refroidis au préalable pour augmenter leur sensibilité et éviter les signaux parasites de l’ensemble de l’observatoire (le télescope, les instruments et les sous-systèmes). Les premiers mois serviront donc à atteindre la température optimale, mais aussi à réaliser toute une batterie de tests pour s’assurer du bon fonctionnement de l’ensemble et calibrer les instruments.
Pour rappel, les principaux objectifs de James Webb sont de rechercher les étoiles dans l’Univers primitif, d’étudier la formation et l’évolution des galaxies, d’étudier les systèmes planétaires et de récolter des données permettant de mieux comprendre les mécanismes de formation des étoiles.