Après plus de vingt années de travail, auquel ont contribué des centaines de scientifiques issus d’une trentaine d’institutions du monde entier, la toute première carte 3D de l’Univers vient d’être publiée. Elle s’appuie notamment sur les dernières observations du Sloan Digital Sky Survey (SDSS), un programme dédié au relevé des différents objets célestes, via un télescope situé au Nouveau-Mexique.
« Une histoire complète de l’expansion de l’Univers », c’est ainsi que Will Percival, de l’Université de Waterloo en Ontario, qualifie le résultat de ce beau projet. Cette carte est le fruit d’un travail colossal, consistant à effectuer des mesures d’expansion, sur une large gamme de temps cosmique, à une précision encore jamais atteinte.
Des années d’observation pour mieux comprendre l’expansion de l’Univers
Le Sloan Digital Sky Survey (SDSS) est un programme fondé en 2000 ayant pour objectif de cartographier 25% du ciel et d’enregistrer les informations relatives à plus de 100 millions d’objets célestes. Pour ce faire, il dispose d’un télescope optique dédié, de 2,5 mètres de diamètre, situé à l’observatoire d’Apache Point (au Nouveau-Mexique).
Le projet eBOSS (Extended Baryon Oscillation Spectroscopic Survey), lancé en 2012 par l’astrophysicien Jean-Paul Kneib, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), avait pour objectif de produire la carte 3D la plus complète de l’Univers, tout au long de sa vie. C’est désormais chose faite et le résultat est époustouflant, comme le montre cette vidéo proposée par l’EPFL :
Cette carte s’appuie sur les données collectées par eBOSS ces dernières années, grâce à une collaboration internationale de plus d’une centaine d’astrophysiciens. Parmi ces nouvelles données : des mesures correspondant à plus de deux millions de galaxies et de quasars couvrant 11 milliards d’années de temps cosmique ! Les modèles théoriques dont disposent les experts, de même que l’étude du rayonnement électromagnétique du cosmos naissant, permettent d’avoir aujourd’hui un bon aperçu de l’Univers primitif, juste après le Big Bang. L’étude des galaxies et les mesures de distances ont également contribué à une meilleure compréhension de l’expansion récente de l’Univers, sur des milliards d’années.
Cependant, une « lacune », au milieu des 11 milliards d’années, persistait. Kyle Dawson, cosmologiste à l’Université de l’Utah, qui a dévoilé la carte le 20 juillet, a déclaré que les chercheurs avaient donc particulièrement travaillé à combler cette lacune. Cinq années d’observations continues par eBOSS ont permis de collecter les informations nécessaires. Prises ensemble, les analyses détaillées de la carte eBOSS et les expériences SDSS antérieures ont permis de reconstituer tout l’historique de l’expansion de l’Univers.
La constante de Hubble se fait plus précise
La carte montre des filaments de matière et des vides qui définissent plus précisément la structure de l’Univers à ses débuts, alors qu’il n’avait que 300’000 ans environ. Pour reconstituer la partie relative à l’Univers d’il y a six milliards d’années, les chercheurs ont observé les galaxies les plus anciennes et les plus rouges. Pour les époques plus lointaines, ils se sont concentrés sur les galaxies bleues, les plus jeunes. Enfin, pour remonter encore plus loin, ils ont utilisé des quasars, des galaxies dont la région centrale est extrêmement lumineuse (ce sont les entités les plus lumineuses de l’Univers).
Par ailleurs, la carte révèle que l’expansion de l’Univers a commencé à s’accélérer à un moment donné, il y a environ six milliards d’années, et n’a jamais cessé de s’accélérer depuis lors. Les experts suggèrent que cela est dû à la présence d’énergie noire, une forme d’énergie hypothétique emplissant uniformément tout l’Univers et dotée d’une pression négative (elle se comporte ainsi comme une force gravitationnelle répulsive). Cette énergie invisible s’inscrit dans la théorie de la relativité générale, mais son origine n’est pas encore bien comprise.
Les astrophysiciens savent depuis des années que l’Univers est en expansion, mais ils sont incapables de mesurer ce taux d’expansion avec précision. D’ailleurs, en comparant les observations réalisées avec eBOSS aux études antérieures sur l’univers primitif, ils ont constaté des écarts significatifs : le taux d’expansion actuel, appelé « constante de Hubble », est 10% inférieur à la valeur calculée à partir des distances qui nous séparent des galaxies les plus proches.
Pour le moment, les scientifiques ne parviennent pas à s’accorder sur ce qui pourrait expliquer cette différence. Néanmoins, l’une des hypothèses envisagées est qu’une forme de matière ou d’énergie jusque-là inconnue de l’univers primitif ait pu laisser une trace dans notre histoire…
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Cette carte 3D est l’aboutissement de longues années de travail. Mais ces études mettent surtout en exergue de nouveaux défis pour les astrophysiciens d’eBOSS et du SDSS : démêler le puzzle de l’énergie noire et expliquer l’inadéquation observée entre le taux d’expansion local et primitif de l’Univers. Au cours de la prochaine décennie, de futures études pourraient résoudre ces énigmes ou peut-être, révéler d’autres surprises.
En attendant, le SDSS va continuer sa mission de cartographie de l’Univers. « Le télescope de la Fondation Sloan, et son quasi-jumeau à l’observatoire de Las Campanas, continueront de faire des découvertes astronomiques, cartographiant des millions d’étoiles et de trous noirs au fur et à mesure qu’ils changent et évoluent au cours du temps cosmique », a déclaré Karen Masters du Haverford College, porte-parole de la phase actuelle du SDSS.