En réalisant la plus grande carte tridimensionnelle de l’Univers à ce jour, des chercheurs ont découvert des indices selon lesquels l’énergie noire s’affaiblit avec le temps. Ces indices figurent parmi les premiers résultats du consortium Dark Energy Spectroscopique Instrument (DESI), couvrant le cosmos sur les 11 derniers milliards d’années. Alors que selon le modèle standard de la cosmologie l’intensité de cette énergie est constante, cette découverte pourrait potentiellement alimenter le débat déjà intense autour de l’énergie noire et de la matière noire.
Proposé il y a environ 25 ans, le modèle standard de la cosmologie, baptisé lambda-CDM, a permis de concilier un grand nombre d’observations contradictoires. Par exemple, vers la fin des années 1990, les théoriciens prédisaient que l’expansion de l’Univers devrait ralentir en raison de l’attraction gravitationnelle exercée par la matière visible et la matière noire. Cependant, il a été constaté plus tard qu’au lieu de ralentir, l’expansion de l’Univers s’accélère. En se basant sur le modèle lambda-CDM, des chercheurs ont alors suggéré l’existence de l’énergie noire, influençant l’expansion de l’Univers de manière opposée à la matière noire et occupant 70 % de l’Univers.
Cependant, malgré les observations semblant corroborer ce modèle, ce dernier comporte encore de nombreuses lacunes, un grand nombre de contradictions subsistant encore. Le consortium DESI, réunissant plus de 900 chercheurs internationaux issus de plus de 70 institutions, a notamment été mis en place dans le but d’explorer les différentes hypothèses sur l’énergie noire et l’expansion de l’Univers. Parmi les derniers exploits réalisés par l’équipe figure la cartographie tridimensionnelle la plus étendue de l’Univers, couvrant les 11 derniers milliards d’années de son existence. Cela a permis d’obtenir les mesures les plus précises à ce jour de l’influence de l’énergie noire sur le cosmos. Les résultats sont détaillés dans une série d’articles en prépublication sur arXiv et présentés lors de la dernière réunion de l’American Physical Society aux États-Unis et des Rencontres de Moriond en Italie.
Des données en contradiction avec le modèle standard de la cosmologie ?
L’une des principales méthodes pour mesurer l’expansion de l’Univers se base sur l’analyse de la distribution des galaxies. Aux plus grandes échelles cosmologiques, les galaxies ne sont pas réparties uniformément, mais ont plutôt tendance à se regrouper en amas. Les observations des amas les plus éloignés jusqu’aux plus proches permettent de déduire la vitesse d’expansion de l’Univers.
En effet, les galaxies sont des artefacts de l’époque où juste après le Big Bang, il n’y avait ni étoiles ni galaxies. Au cours de cette période, l’Univers était entièrement constitué de gaz de baryons (une catégorie de particules composites formées de trois quarks). Le Big Bang a généré des ondes acoustiques qui se sont propagées à travers ce gaz et engendré des ondulations (oscillations acoustiques baryoniques, ou BAO), à la façon d’une pierre tombant dans l’eau. À mesure que ce gaz refroidissait, ces ondes se sont figées à des distances caractéristiques dans la distribution de la matière.
Cette distance peut être retracée aujourd’hui par une tendance des amas de galaxies à être séparés d’environ 490 millions d’années-lumière, selon un motif d’ondulation tridimensionnelle. Les chercheurs peuvent ainsi utiliser les BAO comme « règles » cosmiques. En mesurant les caractéristiques des bulles, il est notamment possible de déterminer la vitesse à laquelle l’Univers s’est étendu à chaque moment de son passé et de modéliser la manière dont l’énergie noire affecte cette expansion. Le diagramme de Hubble du DESI trace un modèle caractéristique des BAO à différents âges de l’Univers.
Pour effectuer ses mesures, l’équipe du DESI s’est appuyée sur le télescope de 4 mètres de Kitt Peak en Arizona, qui est équipé d’un spectroscope collectant la lumière de 5000 galaxies simultanément. Pour ce faire, de minuscules bras robotisés contrôlent en temps réel les extrémités de 5000 fibres optiques pour les ajuster par rapport au plan focal du télescope. L’instrument couvre entre 8 et 11 milliards d’années du passé de l’Univers (soit 80 % de son histoire) avec une précision record. En seulement un an, le projet DESI est devenu deux fois plus performant pour cartographier l’Univers que son célèbre prédécesseur : BOSS/eBOSS du Sloan Digital Sky Survey, dont la cartographie a pris plus d’une décennie.
Cependant, alors que le modèle lambda-CDM suggère que l’intensité de l’énergie noire est constante, les données du DESI indiquent qu’elle semble s’amenuiser avec le temps. « Jusqu’à présent, nous constatons un accord fondamental avec notre meilleur modèle de l’Univers [lambda-CDM], mais nous constatons également des différences potentiellement intéressantes qui pourraient indiquer que l’énergie noire évolue avec le temps », explique Michael Levi, directeur du DESI, dans un communiqué du Berkeley Lab.
En effet, en comparant leurs résultats avec trois ensembles de données basées sur les supernovas, les chercheurs ont constaté qu’il y avait 3 valeurs différentes pour la force générée par l’énergie noire. Toutes trois suggèrent que cette dernière semble s’être affaiblie au cours des éons récents. En outre, bien que deux des échantillons de supernova analysés sont très similaires, les valeurs de la force de l’énergie noire déduites diffèrent tout de même.
Les divergences entre les modèles sont indiquées par une valeur dite « facteur sigma ». Si la valeur est d’environ 3, cela indique qu’il y a une différence suffisamment élevée pour mener une introspection approfondie. En revanche, si elle est inférieure à 3, les différences tiendraient davantage d’une simple coïncidence. La valeur sigma entre le lambda-CDM, la combinaison des mesures de supernova et DESI vont de 2,5-sigma à 3,9. Cela suggère à la fois que la force de l’énergie noire peut être constante ou non. Si ce dernier cas de figure est confirmé, une refonte majeure de la plupart des modèles théoriques cosmologiques, y compris ceux sur la gravité, serait à prévoir.
Toutefois, selon les experts du DESI, ces différences pourraient potentiellement être éliminées avec davantage de données et de précision. La prochaine étape du projet consistera à rassembler plus de données et à effectuer des analyses plus poussées pour les 3 années à venir.
Vidéo à 360° montrant les millions de galaxies cartographiées à l’aide des données du DESI :