Les herbiers sous-marins sont mondialement reconnus pour la biodiversité qu’ils renferment, le soutien à l’alimentation humaine, ainsi que la régulation de notre environnement par la stabilisation des sédiments en zones côtières, ou encore la séquestration de carbone. Mais il existe un manque évident de données génétiques dans ces zones, empêchant d’établir la dynamique du milieu ou de justifier des programmes de conservation et de restauration. Récemment, des chercheurs australiens ont découvert que l’un des herbiers marins de la baie Shark (Shark Bay) en Australie, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, est en réalité une seule et même plante de près de 200 km², soit 25 000 terrains de football. Cette plante serait donc la plus grande sur Terre et daterait de 4500 ans ! Son étude fournira de précieuses informations sur sa résilience, et celles de tels milieux marins, face au changement climatique.
Les herbiers marins influencent les processus côtiers clés tels que la productivité, le filtrage, la séquestration du carbone et les réseaux trophiques, faisant de ces habitats côtiers l’un des plus grands atouts économiques mondiaux parmi les écosystèmes naturels. Elles fournissent abri et nourriture à de nombreux êtres vivants, notamment les herbivores menacés comme la tortue verte (en voie de disparition selon l’IUCN) et les dugongs (classé vulnérable par l’IUCN).
La baie Shark est devenue la première zone d’Australie-Occidentale inscrite au patrimoine mondial en 1991. Elle est principalement connue pour sa population de dugongs, ses vastes herbiers marins et les exemples les plus divers et les plus abondants de stromatolites marins vivants, ou « fossiles vivants », dans le monde. La zone du patrimoine mondial de Shark Bay couvre 2,2 millions d’hectares, dont 65% sont des eaux marines, et possède un littoral qui s’étend sur 1500 kilomètres. Elle est située à 800 km au nord de Perth, sur le point le plus à l’ouest de l’Australie.
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Récemment, des chercheurs de l’Université d’Australie-Occidentale (UWA) et de l’Université Flinders ont voulu comprendre à quel point les herbiers marins de la baie Shark étaient génétiquement diversifiés et quelles plantes devraient être collectées pour la restauration des herbiers, dans le contexte de la crise climatique. S’attendant à trouver plusieurs espèces de plantes constituant l’herbier, ils ont localisé ce que la communauté scientifique pense être la plus grande plante sur Terre, estimant son âge à au moins 4500 ans. La découverte est décrite dans la revue Proceedings of the Royal Society B.
L’empreinte génétique des herbiers marins
L’équipe de chercheurs a mené une enquête génétique sur les herbes marines de 10 prairies différentes peu profondes et ensoleillées de la baie Shark. Ils ont récolté notamment plusieurs spécimens de Posidonia australis. La Posidonie australienne est une espèce de plante aquatique de la famille des Posidoniaceae, et l’une des plantes principales des herbiers au sud de l’Australie.
Le Dr Sinclair, co-auteur de la recherche à l’UWA, explique, dans un communiqué : « On nous demande souvent combien de plantes différentes poussent dans les herbiers marins et cette fois, nous avons utilisé des outils génétiques pour y répondre ». Sur terre, les chercheurs ont analysé l’ADN des graminées récoltées, afin de générer une « empreinte digitale » des herbiers à l’aide de 18 000 marqueurs génétiques.
Mais lorsque les scientifiques ont commencé à rechercher des différences génétiques dans les plantes, entre les différentes zones, ils ont constaté que les échantillons prélevés sur des sites distants de 180 km étaient issus d’une seule plante !
De manière générale, les plantes se reproduisent de deux manières : soit de façon sexuée — impliquant une fécondation entre des gamètes mâle et femelle —, soit de manière asexuée — un individu donnant alors naissance à des « clones » de lui-même.
Dans le cas de Posidonia australis, il s’agit d’une reproduction asexuée. Elle se propage à partir de rhizomes, par duplication. De fait, sachant que les rhizomes peuvent pousser jusqu’à 35 cm par an, les auteurs ont estimé que la plante aurait eu besoin d’au moins 4 500 ans pour se propager aussi loin qu’elle l’a fait actuellement. Jane Edgeloe, auteure principale de l’étude, déclare : « Les 200 km² d’herbier marin semblent s’être développés à partir d’une seule plantule colonisatrice ».
Une plante résistante aux conditions extrêmes
Sans compter que ce qui rend cette plante d’herbes marines unique, par rapport aux autres grands clones d’herbes marines, outre sa taille, c’est qu’elle possède deux fois plus de chromosomes que ses « parents océaniques », ce qui signifie qu’il s’agit d’un polyploïde.
Le Dr Sinclair explique : « La duplication du génome entier par polyploïdie — doublant le nombre de chromosomes — se produit lorsque les plantes ‘parentes’ diploïdes s’hybrident. Le nouveau semis contient 100% du génome de chaque parent, au lieu de partager les 50% habituels ».
Par ailleurs, les eaux peu profondes métahalines et hypersalines de la baie Shark subissent désormais des fluctuations temporelles et spatiales de la température et de la salinité, dans les eaux limitées en phosphore. Or, les plantes polyploïdes résident souvent dans des endroits où les conditions environnementales sont extrêmes. De plus, elles sont souvent stériles, mais peuvent continuer à croître si elles ne sont pas « dérangées ». Ce qui est le cas pour cet herbier géant.
La biologiste Elizabeth Sinclair explique : « Même en l’absence de floraison et de production de graines, cette plante géante semble très résistante, car elle est soumise à une large gamme de températures et de salinités, ainsi qu’à des conditions de luminosité extrêmes, qui, ensemble, seraient très stressantes pour la plupart des plantes ».
Ainsi, le clone polyploïde de cette herbe a démontré une capacité à se remettre d’événements climatiques extrêmes via la duplication. La supériorité, proposée par les auteurs, de ce clone polyploïde sur la plante « mère » diploïde, suggère que le matériel génétique du polyploïde serait le meilleur candidat pour la restauration des herbiers dégradés de la baie Shark. La manière exacte dont le clone polyploïde fait varier sa réponse aux conditions environnementales locales est encore inconnue. C’est pourquoi les auteurs de l’étude prévoient de poursuivre leurs travaux afin d’éclaircir ce point.
Néanmoins, ils concluent que l’abondance relative de cette plante marine suggère qu’elle a développé une résilience à des conditions variables et souvent extrêmes qui lui permettent de persister actuellement et dans le futur.