Malgré les efforts de restauration et de préservation des autorités australiennes, la Grande barrière de corail a récemment (encore une fois) subi un blanchissement (mort du corail) généralisé. Pourtant, cet écosystème exceptionnellement biodivers abrite une multitude d’êtres vivants qui évoluent au sein d’un subtil équilibre. Instauré depuis des milliers d’années, cet équilibre est perturbé à mesure que les eaux se réchauffent et que les coraux blanchissent, ce qui affecte dangereusement la diversité des poissons et autres animaux marins qui y vivent. Révélation encore plus préoccupante : une récente étude a montré que les petits poissons de corail aux couleurs vives tendaient à disparaître. Ces communautés de poissons, qui émerveillent le monde, sont progressivement remplacées par des descendances plus « ternes ».
À cause de l’élévation de la température de la mer, la Grande barrière de corail, cette niche écologique aussi unique que fragile, fait face à un blanchissement massif depuis 1998. Seul 2% du récif subsiste aujourd’hui, qui a mis près de 18 millions d’années à se développer. Il s’agit notamment de l’une des conséquences les plus dramatiques et marquées du changement climatique, sur laquelle les communautés scientifiques alertent depuis des années.
Les coraux rocheux massifs et encroûtés ont au fil des années remplacé les coraux mous, ramifiés et plus colorés. Les premiers sont notamment plus résistants aux vagues de chaleur, ainsi qu’à d’autres stress (physiques ou chimiques) grâce à leur rigidité. « De nos jours, les récifs sont de plus en plus définis par des substrats non coralliens, en particulier des gazons algaux (des espèces d’algues macroscopiques qui envahissent et asphyxient les coraux) », affirme dans un communiqué Christopher Hemingson, chercheur en récifs coralliens à l’Université James Cook et auteur principal de l’étude.
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Cependant, les couleurs de l’ensemble de la faune sont façonnées par leurs environnements directs. Ces couleurs adaptées à chaque milieu sont par exemple utilisées pour communiquer ou comme moyen de dissuasion. Les poissons de corail ont alors probablement développé des couleurs vives pour attirer des compagnons potentiels afin de s’accoupler, ou encore se fondre dans le paysage pour éviter les prédateurs. Les coraux rocheux aux couleurs ternes ne peuvent donc plus les protéger ainsi.
La nouvelle étude, publiée dans la revue Global Change Biology de la librairie digitale Wiley, montre que plus la couverture de coraux structurellement complexes est importante sur un récif, plus la diversité et la gamme de couleurs des poissons vivant à l’intérieur et autour sont élevées. Tandis que plus le récif se couvre de gazons algaux et de restes de coraux morts, plus la diversité des couleurs décline vers des tons plus ternes et plus généralisés. Les poissons aux couleurs vives se font donc de plus en plus rares. « Au cours des 30 dernières années, les facteurs de stress induits par l’homme ont provoqué de profonds changements dans les récifs, généralement dus à la perte de coraux », explique Hemingson.
La structure des fonds marins jouerait un rôle dans la couleur des communautés de poissons
Pour mener leur étude, les chercheurs australiens se sont concentrés sur la portion de récif qui entoure le parc national de l’île d’Orphée, un laboratoire écologique à ciel ouvert. Les poissons coralliens ont en effet tendance à habiter et à se cantonner à des zones restreintes. Les scientifiques ont alors facilement répertorié la colorimétrie de la diversité des poissons et lié ces données avec leurs types d’habitats. Les communautés de poissons vivant dans les parties saines du récif où coraux complexes et ramifiés dominent, ont ainsi été comparées avec celles subsistant dans les zones où coraux massifs et sédiments dominent, suite à de profondes perturbations (vagues de chaleur, cyclones, dégradations physiques et/ou biologiques, etc.).
De plus, le groupe de recherche a voulu étaler l’étude sur une plus longue période. Ils ont alors récolté des données sur près de 27 ans et découvert que la vague de blanchissement de masse depuis 1998 a frappé les récifs autour d’Orphée de façon particulièrement violente. Les coraux ramifiés complexes ont été largement endommagés, induisant un changement radical dans les communautés de poissons.
Les résultats ont aussi montré que les poissons aux couleurs les plus vives telles que le jaune et le vert, ont diminué de près de 3/4 au cours des trois dernières décennies. Cela concerne par exemple la « demoiselle citronnée » (Pomacentrus moluccensis) et le gobie à larges barreaux (Gobiodon histrio). « Nous avons découvert que la structure du fond marin semble jouer un rôle très important dans la formation de la coloration des poissons, plus que sa composition », souligne Hemingson.
« Les communautés de poissons sur les futurs récifs pourraient très bien être une version plus terne de leurs configurations précédentes, même si la couverture corallienne reste élevée », conclut Hemingson.