Le Soleil brille, les températures sont clémentes… Confinement oblige, vous bichonnez votre jardin ? Mauvaise idée. Si l’Homme se bat depuis des mois contre le SARS-CoV-2, les biologistes ont découvert que les insectes sont eux aussi confrontés à une crise sans précédent. Dans le monde entier, leur taux d’extinction s’accélère, jusqu’à la disparition totale de certaines espèces. Pourtant, certaines de ces petites bêtes sont vitales pour l’environnement. Aujourd’hui, les experts tirent la sonnette d’alarme.
Le changement climatique, l’agriculture intensive – et l’utilisation de pesticides à outrance qu’elle implique – et la surexploitation des espaces verts sont les principales raisons du déclin. L’an passé, des biologistes de Munich révélaient dans une étude qu’un tiers des insectes des forêts et prairies d’Allemagne avaient disparu. Il s’avère que ce constat malheureux ne concerne pas que l’Allemagne, mais s’étend à l’échelle mondiale. C’est pourquoi une trentaine de scientifiques de toutes origines (Allemagne, Royaume-Uni, Colombie, Finlande, Afrique du Sud…) s’associent aujourd’hui pour alerter ensemble l’opinion publique et proposer des mesures pratiques pour stopper l’hécatombe.
Un pilier de la biodiversité
« Il est urgent d’agir pour sauver les espèces d’insectes, tant pour les écosystèmes que pour la survie humaine », voilà l’un des avertissements formulés par les experts. Le professeur Matt Hill, spécialiste des milieux aquatiques à l’Université de Huddersfield, fait partie de cette association de spécialistes. De par les activités humaines, les coléoptères, les libellules et les éphémères voient leur population lourdement menacée et ce, dans le monde entier. Les escargots sont également concernés. Pourtant, le docteur Hill rappelle qu’ils apportent une contribution vitale à l’environnement : « Ils fournissent de la nourriture à d’autres animaux et peuvent également jouer un rôle important dans le fonctionnement des écosystèmes d’eau douce, constituant un élément essentiel de la biodiversité ».
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Les scientifiques participant à l’étude ont mis en commun leurs résultats sur le déclin des insectes, afin de mettre clairement en évidence le problème et surtout, proposer des solutions pour éviter l’extinction totale des espèces d’insectes. Et pour cause : on ne peut pas remplacer par la technologie le rôle essentiel qu’ils jouent dans la nature ! La pollinisation, essentielle au développement des cultures, comme la décomposition des matières organiques, sont des tâches que les insectes réalisent à la perfection. Ils constituent des réseaux d’interaction uniques, qu’aucune intervention humaine ne pourrait remplacer.
En 2017, une étude publiée par Hallmann et al. révélait une perte de biomasse d’insectes volants d’environ 75% sur 30 ans. Des tendances similaires ont été observées dans d’autres pays européens. On a notamment enregistré des baisses importantes au Royaume-Uni chez les papillons, les libellules et les carabidés ces dernières années.
Des menaces multiples
On estime aujourd’hui que les insectes pourraient compter 5,5 millions d’espèces, dont seulement un cinquième d’entre elles sont répertoriées. Le nombre d’espèces d’insectes menacées et disparues est donc complètement sous-estimé, en raison du nombre d’espèces rares ou non décrites. Les spécialistes estiment que les extinctions d’insectes depuis l’ère industrielle pourraient se situer autour de 5 à 10%, soit 250’000 à 500’000 espèces, sur la base de 7% d’extinctions estimées chez les escargots terrestres. Au total, au moins un million d’espèces seront menacées d’extinction au cours des prochaines décennies, la moitié d’entre elles étant des insectes.
Selon le rapport des biologistes, la perte, la dégradation et la fragmentation de l’habitat sont probablement les menaces les plus importantes pour la biodiversité. Les processus associés à la déforestation, à l’expansion agricole et à l’urbanisation en sont les principaux responsables. À l’échelle mondiale, 50% des espèces endémiques de plantes et de vertébrés sont limitées à quelque 36 points chauds de biodiversité, couvrant seulement 2.5% de la surface de la Terre ! Rappelons que ces points chauds désignent des zones qui possèdent une biodiversité importante, et qui sont menacées par l’activité humaine. Une modélisation récente suggère que la pression agroéconomique réduira la végétation naturelle – actuellement déjà très restreinte – de moitié d’ici 2050, dans un tiers des points chauds du monde.
Par ailleurs, si la pollution industrielle et l’utilisation intensive de pesticides et d’engrais sont clairement néfastes aux insectes, les experts rappellent que les pollutions lumineuses et sonores sont elles aussi de plus en plus répandues dans le monde. Or, elles interfèrent grandement avec les signaux d’orientation et/ou de communication, luminescents ou acoustiques, utilisés par certains insectes.
Le changement climatique a, quant à lui, des conséquences directes et indirectes sur les populations d’insectes, qu’ils soient terrestres, d’eau douce ou souterrains. Si l’augmentation globale de la température constitue clairement une menace, elle conduit surtout à des réponses écologiques, des changements environnementaux, qui nuisent à l’évolution des espèces. « Les changements dans la phénologie des espèces, les distributions, la réduction de la taille corporelle, la structure des assemblages et la désynchronisation des interactions spécifiques aux espèces sont tous liés au changement climatique », précisent les spécialistes. Pour preuve : certains papillons, observés au Royaume-Uni, sortent de leur chrysalide bien trop tôt, avant même la floraison des plantes qui leur fournissent habituellement le nectar dont ils se nourrissent !
Des gestes simples à appliquer chez soi
Peu d’entre nous en ont réellement conscience, mais notre dépendance aux insectes est énorme. Les auteurs de l’étude rappellent que les insectes contribuent aux quatre principaux types de services écosystémiques définis dans le rapport Ecosystems and Human Well-being: A Framework for Assessment (publié en 2003) :
- les services d’approvisionnement : nouveaux produits chimiques, nouveaux traitements, biomimétique, aliments (plus de 2000 espèces d’insectes sont consommées comme nourriture !) et fibres, etc.
- les services de soutien : cycle des nutriments, production d’oxygène, formation du sol, etc.
- les services de régulation : régulation climatique, limitation de l’érosion, reproduction des plantes à fleurs (pollinisation), purification de l’eau par les larves, enterrement de carcasses, etc.
- les services culturels : tourisme nature, éducation, valeurs spirituelles, etc.
À savoir que ces services peuvent se traduire en valeur monétaire. Ainsi, la pollinisation par les insectes pourrait représenter de 235 à 577 milliards de dollars par an dans le monde.
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En parallèle de leur étude sur les populations d’insectes, les experts ont donc entrepris de proposer un véritable plan d’attaque : une liste de neuf points que chacun peut s’efforcer de respecter pour contribuer à la survie des insectes.
- Évitez de tondre votre pelouse fréquemment : laissez la nature grandir et nourrir les insectes ;
- Plantez des plantes indigènes : de nombreux insectes en ont besoin pour survivre ;
- Évitez les pesticides et privilégiez les cultures biologiques dans votre jardin et votre potager ;
- Laissez les vieux arbres, les souches et les feuilles mortes, car ils abritent d’innombrables espèces ;
- Construisez un hôtel à insectes, avec de petits trous horizontaux, qui peuvent devenir leurs nids ;
- Réduisez votre empreinte carbone : cela affecte autant les insectes que les autres organismes ;
- Soutenez les organisations de conservation de la nature ;
- N’importez pas ou ne libérez pas d’animaux ou de plantes vivant dans la nature qui pourraient nuire aux espèces indigènes ;
- Soyez plus conscient de la présence de ces petites créatures ;
En effet, si chacun prend conscience dès aujourd’hui de la menace qui pèse, si chacun fait plus attention au « petit côté de la vie » selon les termes de Hill, peut-être que nous parviendrons à inverser la tendance.