Les populations de grands ongulés n’ont de cesse de croître, faisant peser sur leur milieu naturel une pression qui compromet la régénération des forêts. Seule une étroite coopération entre propriétaires forestiers et chasseurs peut permettre de cibler les prélèvements et de favoriser, ainsi, un meilleur équilibre entre la faune et la flore.
Sécheresses, incendies, prolifération de ravageurs et parasites… : le changement climatique affecte les forêts qui, en dépérissant, captent moins de CO2 et accélèrent, à leur tour, le réchauffement du climat. Si ce cycle infernal est désormais bien connu des scientifiques comme du grand public, une autre menace plane sur l’avenir des forêts françaises : la croissance exponentielle de la population d’ongulés sauvages. Les ongulés, ce sont ces grands mammifères – cerfs, chevreuils, sangliers, chamois, bouquetins, etc. – qui, dépourvus de prédateurs naturels comme le loup, dont la population est pourtant elle aussi en croissance, voient leurs effectifs augmenter sur la quasi-totalité du territoire métropolitain. Avec, comme tout phénomène naturel non régulé, son cortège de conséquences délétères sur leur milieu de vie et, plus précisément, sur la végétation qui leur offre gîte et couvert.
Une surpopulation synonyme de menace pour les forêts
À défaut de comptage précis des espèces concernées, le nombre d’animaux tués par les chasseurs donne une idée de la multiplication des grands ongulés sur le territoire français. Selon le dernier rapport en date du gouvernement, entre 1973 et 2021, le nombre de sangliers « prélevés » par les chasseurs a ainsi été multiplié par 23, et celui des chevreuils par 12. Le phénomène a même tendance à accélérer depuis le début des années 2000 : en vingt ans, les prélèvements de cerfs sika (une espèce invasive, non originaire de France, qui peut « polluer » les souches génétiques des espèces endémiques) ont en effet bondi de +342 %, ceux de daims de +180 %, ceux de cerfs élaphes de +105 %, etc. Mais, en dépit de cette apparente hécatombe, la population d’ongulés ne faiblit pas, le nombre d’animaux tués chaque année par les chasseurs demeurant, en moyenne, inférieur à l’accroissement naturel des espèces.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Rien n’indique que la situation puisse s’inverser à court terme. En 2022, explique Ludovic Lanzillo, expert national chasse, pêche et équilibre forêt-ongulés à l’Office national des forêts (ONF), « la situation ne s’est pas améliorée, même si elle varie selon les territoires ». Si certaines régions sont particulièrement touchées par la présence de grands ongulés, comme le Grand Est ou la Bourgogne-Franche-Comté, l’Auvergne, la Lozère ou le Sud-Ouest ne sont pas épargnés. Mais pourquoi la prolifération des sangliers, cerfs et autres chevreuils pose-t-elle un problème ? « Les ongulés ont toute leur place dans l’écosystème forestier… », rassure Ludovic Lanzillo, mais «…leur surpopulation représente une menace sérieuse [pour les forêts]. Par endroit, les dégâts causés s’apparentent quasiment à une déforestation. Les jeunes semis sont dévorés avant d’avoir pu se développer ».
La surpopulation d’ongulés, un problème aussi « invisible » que « terrible »
Résultat, « dans beaucoup de situations, nous n’arrivons plus à garantir la régénération des forêts », déplore l’expert de l’ONF. La présence de plusieurs ongulés sur un même territoire peut, en effet, avoir de lourdes conséquences sur les communautés végétales. « Vermillis » ou affouillement du sol par les sangliers qui déterrent les graines comme les jeunes plans, abroutissement des bourgeons, feuilles, aiguilles ou jeunes pousses par les cerfs et chevreuils, écorçage des arbres par les cerfs, frottis des chevreuils et cerfs mâles qui nettoient leurs bois en croissance contre les arbres et arrachent leur écorce… : tous ces comportements, en eux-mêmes bien naturels, menacent quand ils sont cumulés la survie à long terme de nos forêts. Par exemple, de 30 à 40 % des semis de sapins, alors qu’ils sont en situation de régénération naturelle, sont consommés par les cerfs et les chevreuils au cours de leur première année.
Difficiles à quantifier et à estimer en forêt, les dégâts causés par les grands ongulés sont néanmoins colossaux. L’ONF estime ainsi que la moitié de la forêt domaniale française – c’est-à-dire qui appartient à l’État – est confrontée à un déséquilibre forêt-ongulés, compromettant la croissance et le renouvellement des peuplements forestiers et appauvrissant la diversité des essences d’arbres. « Cette problématique est souvent invisible pour le grand public », reconnaît Jonathan Fischbach, de l’agence ONF de Sarrebourg (Grand Est) : « pourtant, elle aura des conséquences terribles sur la forêt de demain ». « Avec l’accélération du changement climatique », appuie Régine Touffait, secrétaire générale de la Direction forêts et risques naturels à l’ONF, « la reconstitution des peuplements forestiers impose impérativement une maîtrise absolue des effectifs de grands ongulés. (…) Les efforts de reconstruction des peuplements seront vains si l’équilibre n’est pas rétabli ou maintenu en forêt ».
Une plateforme pour signaler les dégâts
Comment, dès lors, tenter de juguler le phénomène ? La première des actions possibles repose, sans doute, sur la sensibilisation des propriétaires forestiers : comme l’explique cette vidéo de Fransylva, ces derniers peuvent signaler les dégâts causés par les ongulés sur leurs parcelles. Mise en place grâce au financement de l’interprofession de la filière France Bois Forêt, la plateforme nationale forêt-gibier permet, depuis son lancement en mai 2021, aux propriétaires forestiers de signaler la présence d’ongulés sur leurs parcelles. En 2022, plus de 7 000 hectares endommagés ont ainsi été signalés aux acteurs compétents : les préfets et les chasseurs.
Que l’on soutienne cette activité ou qu’on la voue aux gémonies, la chasse représente, aujourd’hui, l’un des moyens les plus efficaces pour réguler les surpopulations d’ongulés et pour limiter, autant que faire se peut, leurs dégâts sur les jeunes arbres – la seule réelle alternative à la chasse demeurant la protection individuelle des arbres ou engrillagement des parcelles. Cette dernière solution coûte jusqu’à 60 % plus cher et n’est pas sans impact sur les paysages forestiers et l’accessibilité des massifs.
De ce fait, plusieurs acteurs référents se sont positionnés en faveur de la chasse comme outil de régulation. Notamment Fransylva, le syndicat des propriétaires forestiers privés, qui demandait au premier semestre 2023 une « augmentation des plans de chasse régis par le Code de l’environnement, qui fixent annuellement les effectifs pouvant être prélevés.» Selon le syndicat, ces augmentations doivent être avant tout effectives dans les zones en fort déséquilibre.
Pour garantir l’équilibre entre faune et flore, la coopération entre les propriétaires forestiers et les chasseurs semble donc incontournable pour préserver l’avenir des forêts françaises et de leurs habitants, dont les cerfs, chevreuils et autres sangliers font partie.