Des chercheurs ont développé le premier semi-conducteur fonctionnel à base de graphène « épitaxial » — une monocouche de graphène qui se forme spontanément sur une surface cristalline de carbure de silicium. Le nouveau matériau a notamment franchi une limite majeure inhérente aux matériaux à base de graphène : l’absence de « bande interdite ». Ainsi, il pourrait à terme permettre de produire des dispositifs électroniques plus petits et hautement performants, ou des composants adaptés à l’informatique quantique.
Bien qu’il ait permis de grandes avancées en matière de dispositifs électroniques, le silicium présente désormais des limites non négligeables, en vue des besoins actuels et futurs de l’informatique et de l’électronique. Les dispositifs informatiques requièrent notamment des vitesses de traitement toujours plus élevées pour des dispositifs de plus en plus petits. En vue de leur potentiel, les matériaux à base de graphène sont explorés depuis quelques années dans le but de succéder au silicium.
Cependant, aucune technologie à base de graphène n’a jusqu’à présent permis un fonctionnement électronique suffisamment stable et robuste pour remplir les exigences des dispositifs électroniques actuels. En effet, le graphène est un semi-métal, c’est-à-dire qu’il n’est ni entièrement un semi-conducteur ni un métal. Cela implique que contrairement au silicium, il ne possède pas de « bande interdite », une propriété permettant aux semi-conducteurs de s’activer et de se désactiver à la demande, lorsqu’un champ électrique leur est appliqué. Plus précisément, les semi-conducteurs possèdent une bande interdite que les électrons peuvent franchir si on leur donne l’énergie nécessaire.
Afin de surmonter ce défi, des tentatives d’altération chimique de la structure du graphène ont été abordées afin de développer des semi-conducteurs viables, mais sans succès notable.
Le nouveau matériau, développé par des chercheurs de l’Université de Tianjin (Chine) et du Georgia Institute of Technology (États-Unis), serait le premier à véritablement surmonter la limite liée à l’absence de bande interdite. « Au fil des années, nombreux sont ceux qui ont essayé de résoudre ce problème en utilisant diverses méthodes. Notre technologie atteint la bande interdite et constitue une étape cruciale dans la réalisation d’une électronique basée sur le graphène », affirme Lei Ma de l’Université de Tianjin, codirecteur des travaux de recherche.
L’étude, détaillée dans la revue Nature, se focalise sur le graphène bidimensionnel, qui posséderait un plus grand potentiel en matière de semi-conductivité que les structures plus complexes. « C’est un matériau extrêmement robuste, capable de supporter des courants très importants, et ce, sans chauffer ni s’effondrer », explique Walt A. de Heer du Georgia Institute of Technology, qui a également codirigé la recherche.
Une mobilité 10 fois supérieure au silicium
Les chercheurs de la nouvelle étude ont avancé l’hypothèse selon laquelle le graphène épitaxial, ou épigraphène, serait un meilleur semi-conducteur que le graphène simple. Il s’agit d’un type de structure où le graphène forme spontanément une couche unique au-dessus des cristaux de carbure de silicium, lorsque ce dernier est soumis à des températures élevées. Pour ce faire, un four spécial à induction a été utilisé de sorte à créer des liaisons silicium-carbone, formant ainsi une surface en treillis. L’équipe a constaté que lorsque les liaisons se font correctement, la structure obtenue montre d’excellentes propriétés semi-conductrices.
Cependant, afin de déterminer s’ils peuvent être utilisés en tant que transistors fonctionnels, les matériaux semi-conducteurs doivent être fortement manipulés sans altérer leurs propriétés. Afin d’évaluer les performances de leur matériau, les chercheurs y ont injecté des atomes permettant d’alimenter le système en électrons (selon un procédé appelé dopage). Cela a permis d’évaluer sa conductivité sans l’endommager et altérer ses propriétés.
Après évaluation, « nous montrons que le graphène bien recuit sur une surface cristalline spécifique en carbure de silicium est un semi-conducteur 2D à mobilité extrêmement élevée », écrivent les chercheurs dans leur document d’étude.
La mobilité (étroitement liée à la conductivité) est la vitesse à laquelle se déplacent les électrons dans le matériau. L’épigraphène développé par l’équipe présente une mobilité 10 fois supérieure à celle du silicium. Cela signifie que les électrons s’y déplacent avec une très faible résistivité, ce qui, en informatique, peut se traduire par une plus grande vitesse de calcul. « C’est plus efficace, ça chauffe moins et cela permet des vitesses plus élevées afin que les électrons puissent se déplacer plus rapidement », précise de Heer. C’est comme voyager sur une autoroute au lieu de se déplacer sur du gravier, pour l’analogie.
Ces résultats suggèrent que le nouveau matériau est aujourd’hui le seul semi-conducteur bidimensionnel en graphène possédant toutes les propriétés nécessaires pour une application en nanoélectronique. En effet, ses propriétés électroniques sont nettement supérieures à celles des autres semiconducteurs 2D du même type. Cela suggère en outre un changement de paradigme dans le domaine de l’électronique, pouvant potentiellement aboutir à de nouvelles technologies aux caractéristiques uniques. Selon Heer, à l’instar du silicium, les technologies au graphène pourraient prochainement constituer une étape majeure dans l’histoire de l’électronique.