Alors que la technologie d’édition génétique CRISPR-Cas9 a bouleversé de nombreux champs de la biologie, elle n’avait jusqu’ici jamais été appliquée aux araignées. Une équipe de chercheurs vient de franchir ce cap en parvenant à modifier génétiquement une espèce domestique commune, afin qu’elle produise une soie rouge fluorescente. Une avancée qui pourrait déboucher sur de nouvelles applications en science des matériaux.
La technique CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) est utilisée depuis plusieurs années dans un large éventail de recherches en biologie du développement et de l’évolution, ainsi que dans des domaines appliqués comme les sciences des matériaux, la lutte contre les espèces invasives ou encore l’amélioration des rendements agricoles.
Il existe plusieurs variantes de CRISPR, certaines ciblant l’ARN, d’autres l’ADN exogène. En particulier, la méthode CRISPR-Cas9 permet de sectionner précisément l’ADN grâce à une nucléase (la protéine Cas9), dotée de deux domaines d’endonucléase capables d’induire une cassure double brin au niveau de la séquence ciblée. Ce procédé ouvre la voie à des modifications très spécifiques des gènes. D’autres versions de la technique permettent, elles, d’activer ou d’inhiber l’expression de certains gènes.
Elle est ainsi utilisée tant pour comprendre le rôle exact de certains gènes que pour développer des thérapies géniques ciblées. Pourtant, en dépit de son adoption dans de nombreuses disciplines scientifiques, aucune application réussie de CRISPR sur les araignées n’avait été rapportée jusqu’ici. Un constat d’autant plus étonnant que leur succès évolutif en fait des sujets de recherche particulièrement intéressants.
Les araignées demeurent en effet sous-représentées dans la recherche scientifique, notamment en comparaison d’autres arthropodes comme les moustiques ou les cafards. Cela s’explique en partie par la grande diversité de leurs espèces et la complexité de leur structure génomique. Leur comportement cannibale et leurs exigences strictes en matière d’environnement rendent en outre leur élevage en laboratoire délicat.
Des biologistes de l’Université de Bayreuth, en Allemagne, ont pourtant réussi à créer les premières araignées modifiées par CRISPR-Cas9, capables de produire de la soie rouge fluorescente. « Nous avons démontré, pour la première fois au monde, que CRISPR-Cas9 peut être utilisé pour incorporer une séquence souhaitée dans les protéines de soie d’araignée, permettant ainsi de doter ces fibres de nouvelles fonctions », explique dans un communiqué Thomas Scheibel, coauteur principal de l’étude.

Une soie rouge fluorescente sans altération de ses propriétés
Les chercheurs ont porté leur choix sur *Parasteatoda tepidariorum*, une araignée domestique largement utilisée comme modèle en laboratoire pour l’étude de la biologie des araignées. Jusqu’ici, les modifications génétiques sur ces animaux visaient essentiellement à éclairer leur développement ou leur évolution. Cette fois, les scientifiques ont introduit la séquence génétique codant pour une protéine de soie rouge fluorescente dans leur génome, à l’aide de CRISPR-Cas9.
Le processus a nécessité l’injection du brin génétique dans des œufs non fécondés. Pour ce faire, les femelles ont été anesthésiées au CO2 afin d’être immobilisées durant l’intervention, avant d’être accouplées avec des mâles de la même espèce une fois leur état stabilisé.

Leur progéniture a, comme prévu, produit des toiles rouges fluorescentes sans altération notable de la qualité de la soie. « Les Araneae sont surtout connues pour leur soie, une fibre emblématique dans le domaine des sciences des matériaux », rappellent les chercheurs dans leur article publié dans la revue Angewandte Chemie International Edition. « Une ingénierie réussie de la soie d’araignée in vivo permettra donc de développer et d’exploiter de nouvelles fonctionnalités dans un large éventail d’applications », soulignent-ils.
La soie d’araignée suscite depuis longtemps l’intérêt des chercheurs en science des matériaux et en biotechnologie, en raison de sa résistance remarquable, son élasticité, sa légèreté et sa biodégradabilité. Ces araignées génétiquement modifiées pourraient permettre de produire une palette élargie de soies, aux propriétés inédites.
L’équipe a également exploré une autre facette de l’édition génétique en testant une méthode appelée « CRISPR knockout », consistant à désactiver un gène spécifique afin d’en déterminer la fonction. Les chercheurs se sont intéressés au gène *so*, suspecté de jouer un rôle dans le développement des yeux. Les œufs ainsi modifiés ont donné naissance à des araignées dépourvues d’yeux, confirmant l’implication du gène dans ce processus et offrant de nouveaux éclairages sur la biologie complexe de ces animaux.
« Notre étude étend l’usage de CRISPR aux araignées et apporte des informations précieuses tant en génétique du développement qu’en science des matériaux », concluent les chercheurs.