Prédits depuis plus de 40 ans, les anyons sont initialement une construction mathématique destinée à mieux comprendre les interactions et les oscillations à l’intérieur de systèmes à deux dimensions. De pure solution mathématique ils sont passés au stade de quasi-particules, plus précisément des excitations collectives d’électrons possédant une charge fractionnaire, et jouent par exemple un rôle majeur dans l’effet Hall quantique fractionnaire. Cependant, ils restaient jusqu’à maintenant théoriques. Mais récemment, une équipe de physiciens a pu apporter la première confirmation expérimentale de l’existence des quasi-particules.
De nouvelles preuves expérimentales d’un comportement collectif des électrons formant des quasi-particules appelées « anyons » ont été rapportées par une équipe de physiciens de l’Université Purdue. Les anyons ont des caractéristiques que l’on ne voit pas dans d’autres particules subatomiques, notamment une charge et des statistiques fractionnaires qui maintiennent une « mémoire » de leurs interactions avec d’autres quasi-particules en induisant des changements de phase quantiques.
Bien que ce travail puisse éventuellement s’avérer pertinent pour le développement d’un ordinateur quantique, pour l’instant, indique Michael Manfra, il doit être considéré comme une étape importante dans la compréhension de la physique des quasi-particules. L’article de recherche sur la découverte a été publié dans la revue Nature Physics.
Le physicien théoricien lauréat du prix Nobel Frank Wilczek, professeur de physique au MIT, a donné à ces quasiparticules le nom ironique d’anyon, en raison de leur comportement étrange car contrairement à d’autres types de particules, ils peuvent adopter n’importe quelle phase quantique lorsque leurs positions sont échangées.
Des propriétés inhabituelles conférant une mémoire des interactions
Les anyons réagissent comme s’ils avaient une charge fractionnaire et, plus intéressant encore, créent un changement de phase non trivial en s’agglutinant les uns autour des autres. Cela peut donner aux anyons un type de mémoire de leur interaction.
« Les anyons n’existent que sous forme d’excitations collectives d’électrons dans des circonstances spéciales. Mais ils ont ces propriétés manifestement curieuses, y compris la charge fractionnaire et les statistiques fractionnaires. C’est curieux car on se dit, ‘Comment peuvent-ils avoir moins de charge que la charge élémentaire d’un électron ?’ », déclare Manfra.
Il explique que lorsque des bosons ou des fermions sont échangés, ils génèrent un facteur de phase de plus un ou moins un, respectivement. « Dans le cas de nos anyons, la phase générée par les interactions était de 2π/3. C’est différent de ce qui a été vu dans la nature auparavant ». Les anyons affichent ce comportement uniquement en tant qu’excitations collectives d’électrons, où de nombreux électrons se comportent comme un seul dans des conditions très extrêmes et spécifiques, de sorte qu’ils ne sont pas considérés comme isolés dans la nature.
Comme ce comportement dépend du nombre de fois que les particules sont agglutinées les unes autour des autres, elles sont plus robustes dans leurs propriétés que les autres particules quantiques. Cette caractéristique est dite topologique car elle dépend de la géométrie du système et peut éventuellement conduire à des structures anyoniques beaucoup plus sophistiquées, qui pourraient être utilisées pour construire des ordinateurs quantiques topologiques stables.
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Un interféromètre pour détecter expérimentalement les anyons
L’équipe a pu démontrer ce comportement en acheminant les électrons à travers une nanostructure gravée en forme de labyrinthe spécifique, faite d’arséniure de gallium et d’arséniure d’aluminium et de gallium. Cet appareil, appelé interféromètre, confinait les électrons afin qu’ils se déplacent dans un chemin bidimensionnel. L’appareil a été refroidi à un centième de degré près du zéro absolu (10 millikelvin) et soumis à un puissant champ magnétique de 9 Tesla.
La résistance électrique de l’interféromètre a généré un motif d’interférence que les chercheurs ont appelé un « tracé de pyjama ». Les sauts dans le schéma d’interférence étaient la signature de la présence des anyons. « C’est certainement l’une des choses les plus complexes et les plus compliquées à faire en physique expérimentale », déclare Chetan Nayak, physicien théoricien à l’Université de Californie.