Plus les propriétés des particules, élémentaires comme composites, sont connues et affinées, plus les physiciens peuvent améliorer les modèles dans lesquels elles interviennent. C’est notamment le cas des neutrons, des baryons (particules composées de trois quarks) composant le noyau atomique avec les protons. À l’intérieur d’un noyau atomique, les neutrons ont une durée de vie plutôt stable, mais à l’extérieur, celle-ci est considérablement réduite. Connaître la durée de vie d’un neutron isolé pourrait donc permettre de mieux comprendre certains processus ayant eu lieu dans l’Univers primitif et certains objets comme les étoiles à neutrons. Et récemment, des physiciens ont pu mesurer cette durée de vie pour la première fois depuis l’espace. Certes, la marge d’erreur est encore très importante, mais ces résultats sont encourageants et montrent que la technique utilisée peut être améliorée.
Cela pourrait nous aider à mieux comprendre à quelle vitesse les éléments se sont formés à partir de la soupe de particules qui a rempli l’Univers juste après le Big Bang, il y a environ 13.8 milliards d’années. Ce processus est connu sous le nom de nucléosynthèse primordiale, et on pense qu’il a eu lieu entre 10 secondes et 20 minutes après le Big Bang. Savoir combien de temps les neutrons peuvent survivre seuls permettra aux cosmologistes de plafonner la limite supérieure de cette période.
Deux méthodes standards terrestres de mesure en désaccord
Depuis les années 1990, deux classes d’expériences différentes ont été utilisées sur Terre pour tenter de mesurer la durée de vie d’un neutron : la « bouteille » et le « faisceau ». Dans les méthodes de la bouteille, les physiciens créent un piège — mécanique, gravitationnel, magnétique ou une combinaison — et mesurent le temps que les neutrons à l’intérieur prennent pour se désintégrer. Dans les méthodes du faisceau, les physiciens tirent un faisceau de neutrons et comptent les protons et les électrons qui résultent de la désintégration des neutrons.
Ces deux méthodes sont très précises, mais il y a un problème. Les méthodes de la bouteille, en moyenne, renvoient un temps de décroissance de 879.5 secondes, ou 14 minutes et 39 secondes, avec une marge d’erreur de 0.5 seconde. La méthode du faisceau revient avec une moyenne de 888 secondes, soit 14 minutes et 48 secondes, avec une marge d’erreur de 2 secondes.
Cette différence de 9 secondes entre les deux moyennes peut ne pas sembler beaucoup, mais lorsqu’il faut contraindre la durée de vie d’un neutron, c’est énorme — d’autant plus que les marges d’erreur sont elles-mêmes très éloignées. Et c’est là que l’espace entre en jeu. Lorsque les rayons cosmiques qui voyagent constamment dans l’espace entrent en collision avec des atomes à la surface d’une planète ou dans son atmosphère, certains neutrons sont libérés et se dirigent vers l’espace jusqu’à ce qu’ils se désintègrent.
Mesurer la durée de vie d’un neutron dans l’espace : entre prouesse technique et marge d’erreur
Théoriquement, à des altitudes plus élevées, il devrait y avoir moins de neutrons — mais cela nécessite le bon instrument à la bonne altitude pour prendre des mesures. Entre 2011 et 2015, la sonde spatiale MErcury Surface, Space ENvironment, GEochemistry, and Ranging (MESSENGER) de la NASA a orbité autour de Mercure, mais son itinéraire était compliqué, impliquant deux survols de Vénus et trois survols de Mercure.
En passant devant Vénus, le spectromètre à neutrons de MESSENGER a collecté des données sur les neutrons sortant de la planète à une vitesse de quelques kilomètres par seconde. À une altitude minimale de 339 kilomètres, MESSENGER était proche de la distance maximale que ces neutrons auraient pu parcourir avant de se désintégrer. Des mesures similaires ont été prises lors des survols de Mercure, à une altitude minimale de 205 kilomètres.
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« C’est comme une expérience de la bouteille, mais au lieu d’utiliser des murs et des champs magnétiques, nous utilisons la gravité de Vénus pour confiner les neutrons pendant des périodes comparables à leur durée de vie », explique Jack Wilson du Johns Hopkins University’s Applied Physics Laboratory. Pour calculer la durée de vie des neutrons, l’équipe a modélisé le nombre de neutrons qu’ils devraient détecter aux altitudes de survol de Vénus pour une gamme de durées de vie, entre 10 et 17 minutes. Selon cette modélisation, une durée de vie d’environ 780 secondes — 13 minutes — était la meilleure déduction.
Mais ce résultat est également venu avec une marge d’erreur de 60 secondes dans les deux cas, ce qui signifie qu’il est toujours à portée des mesures de la bouteille et du faisceau. Ainsi, la durée de vie des neutrons n’est pas encore entièrement résolue. En fait, MESSENGER n’essayait pas de collecter des données pour ce type de calcul. La capacité de le faire en utilisant des données de la sonde — même avec une grande marge d’erreur — est impressionnante.