Les profondeurs de l’océan demeurent pleines de mystères. Si nous connaissons bien les 2000 premiers mètres, le reste, en raison de la difficulté d’accès et des coûts des expéditions, demeure largement inexploré. Récemment, des scientifiques australiens et japonais ont établi deux nouveaux records mondiaux : un poisson observé et pêché à plus de 8300 mètres de profondeur.
Selon certains chercheurs, la mer profonde détient la clé pour résoudre de nombreuses questions sur la vie sur Terre en matière de biodiversité, de processus océaniques tels que les courants et la circulation océanique, et d’impacts humains, y compris le changement climatique.
Il y a plus d’un an, un centre de recherche de renommée mondiale a été créé à Perth, repoussant les limites de l’exploration et de la science en haute mer. Il associe la Fondation Minderoo du Dr Andrew Forrest et l’Université d’Australie-Occidentale (UWA).
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Le Dr Forrest explique : « Nous devons considérer l’océan comme une grande masse d’eau. Nous en savons beaucoup sur les 2000 premiers mètres, puis notre compréhension s’affaiblit à mesure que la profondeur augmente. L’objectif de la Fondation Minderoo est de combler les lacunes de ces 50% les plus profonds de l’océan afin que nous puissions mieux comprendre comment traiter l’océan dans son ensemble et comprendre ce qu’il nous dit sur la pression que nous lui imposons ».
Récemment, des scientifiques du centre et de l’Université des sciences et technologies marines de Tokyo ont capturé des images d’un poisson nageant paisiblement à plus de 8 km sous l’eau dans la fosse d’Izu-Ogasawara, au sud-est du Japon, établissant un nouveau record pour le poisson le plus profond jamais enregistré.
Une expédition exceptionnelle dans les grands fonds
La découverte a été faite au cours d’une expédition de deux mois menée à bord du navire de recherche DSSV Pressure Drop, qui a débuté en septembre de l’année précédente. Les scientifiques souhaitaient explorer les tranchées du Japon, d’Izu-Ogasawara et de Ryukyu dans l’océan Pacifique dans le cadre d’une étude de 10 ans sur la population de poissons la plus profonde de la planète.
Le professeur de l’UWA Alan Jamieson, fondateur du Minderoo-UWA Deep Sea Research Center et scientifique en chef de l’expédition, a émis l’hypothèse que les poissons étaient capables de survivre à des profondeurs encore plus grandes que celles de la fosse des Mariannes, en raison des eaux légèrement plus chaudes d’Izu-Ogasawara.
Pour capturer ces images, les chercheurs ont utilisé des submersibles sans pilote appelés atterrisseurs. Ils sont équipés de systèmes d’imagerie appâtés, de dispositifs de collecte et de capteurs de surveillance environnementale. L’atterrisseur peut opérer jusqu’à 11 000 m de profondeur. C’est ainsi que les scientifiques ont pu observer un poisson à 8336 mètres de profondeur, d’une espèce inconnue appartenant au genre Pseudoliparis. Quelques jours après, ils ont capturé deux spécimens de l’espèce Pseudoliparis belyaevi, dans la fosse du Japon à une profondeur de 8022 mètres.
Alan Jamieson explique dans un communiqué : « Les tranchées japonaises sont des endroits incroyables à explorer ; elles sont si riches en vie, même aux plus grandes profondeurs ». La précédente observation de poissons la plus profonde avait été faite à 8178 m, plus au sud dans le Pacifique, dans la fosse des Mariannes. Cette expédition bat donc le record de profondeur de 158 m.
Plus précisément, l’individu filmé le plus profond était un juvénile. Contrairement à d’autres espèces de poissons d’eau profonde, les juvéniles de cette espèce se trouvent généralement à des profondeurs plus grandes que les adultes, soumis ainsi à des conditions extrêmes.
Des poissons adaptés à la pression
Les animaux vivant dans des environnements marins profonds sont confrontés à de nombreux défis, notamment des pressions élevées, des températures basses, peu de nourriture et presque pas de lumière. C’est une niche écologique où se sont réfugiés les poissons-escargot, en raison du changement drastique de la pression atmosphérique et de la chaleur dans les eaux plus proches de la surface, il y a quelques milliers d’années.
Ces poissons ressemblent à des têtards et ont un corps gélatineux faisant penser à celui des escargots, d’où leur nom commun. Certaines espèces ont même la peau épineuse. Ils sont capables de vivre dans des habitats soumis à une pression écrasante grâce à diverses adaptations génétiques.
En effet, une étude complète de leur génome en 2022 a révélé qu’ils possèdent des copies supplémentaires de gènes impliqués dans la réparation de l’ADN. Ils ont également perdu de nombreux gènes qui sous-tendent l’odorat, probablement en raison de leur régime alimentaire limité.
Ces poissons possèdent également cinq copies d’un gène appelé fmo3, crucial pour la production de N-oxyde de triméthylamine : un produit chimique qui stabilise les protéines et peut les protéger contre les dommages causés par la pression intense, notamment au niveau du tissu musculaire. De plus, ces animaux n’ont pas de vessie natatoire, contrairement à de nombreux autres types de poissons. Au lieu de cela, ils produisent une substance gélatineuse leur permettant de nager sans couler à pic.
Alan Jamieson conclut : « Nous avons passé plus de 15 ans à rechercher ces poissons des profondeurs, mais la profondeur maximale à laquelle ils peuvent survivre est vraiment étonnante ».
VIDÉO : Poissons filmés dans la tranchée d’Izu-Ogasawara, à l’aide de caméras appâtées, à une profondeur de 8336 m (© University of Western Australia) :