La formation de cristaux à partir de constituants à l’échelle nanométrique est un phénomène omniprésent en biologie, en géologie et en science des matériaux. Mais ce processus n’est pas entièrement compris, entre autres en raison des difficultés expérimentales inhérentes à son observation. Récemment, pour la toute première fois, des chercheurs ont observé ce processus d’autoassemblage de nanoparticules en matériaux solides. Les fascinantes vidéos obtenues montrent les particules se mettre en place pour former les couches empilées caractéristiques d’un cristal.
Les cristaux jouent un rôle important dans la formation de substances, allant des squelettes et coquilles aux matériaux semi-conducteurs. Mais de nombreux aspects de leur formation sont entourés de mystère. Comprendre le processus d’autoassemblage de nanoparticules en matériaux solides peut, par exemple, aider à comprendre pourquoi la biominéralisation, produisant, dents, os, etc., peut mal se dérouler et causer ainsi des maladies. D’autre part, cette compréhension peut également être un puissant moteur d’innovations dans les domaines technologiques.
Il faut savoir qu’il existe trois phases distinctes dans la croissance des cristaux : la nucléation, la croissance post-nucléationnelle et l’arrêt de la croissance. De nombreuses études se sont concentrées sur la compréhension du début de la nucléation et sur la production de cristaux de haute qualité en échantillonnant des constituants avec différents attributs et en faisant varier les conditions de croissance.
Cependant, la cinétique des processus de croissance post-nucléation, un déterminant important de la morphologie et des propriétés des cristaux, est restée sous-explorée en raison des défis expérimentaux associés à l’imagerie en temps réel à l’échelle nanométrique.
Récemment, une équipe de recherche, de la Northwestern University et de l’Université de l’Illinois a mis en image la croissance cristalline de nanoparticules de différentes formes. Les vidéos montrent ces dernières dégringoler le long de nano-escaliers et glisser avant de finalement se mettre en place pour former les couches empilées caractéristiques d’un cristal. Ces nouvelles connaissances pourraient être utilisées pour concevoir de nouveaux matériaux, y compris des couches minces pour des applications électroniques. L’avancée a été publiée dans la revue Nature Nanotechnology.
Changer de point de vue
Comme mentionné précédemment, bien que la cristallisation soit un phénomène omniprésent, la façon exacte dont les cristaux se forment est restée une énigme. La représentation courante des cristaux est sous forme de sel, de sucre, de flocons de neige et de pierres précieuses, comme les diamants. Les blocs de construction — atomes, molécules ou ions — qui composent ces matériaux cristallins sont hautement ordonnés en réseaux, et s’empilent les uns sur les autres pour former un matériau solide tridimensionnel.
Jusqu’à présent, les chercheurs ont étudié la cristallisation en examinant des particules beaucoup plus grosses appelées colloïdes. Mais observer les colloïdes s’auto-arranger en cristaux ne donne aucune information sur le comportement des atomes. Alors que les cristaux ont des surfaces planes et uniformes, les structures cristallines fabriquées à partir de colloïdes de la taille d’un micron, qui sont 10 à 100 fois plus gros que les nanoparticules, ont tendance à adopter des surfaces rugueuses non uniformes.
Erik Luijten de Northwestern, qui a dirigé les travaux théoriques et informatiques pour expliquer les observations, déclare dans un communiqué : « Les colloïdes sont bien plus gros que les atomes, il est douteux qu’ils suivent les mêmes étapes lors de la cristallisation. L’analogie des colloïdes avec les atomes ne tient pas vraiment ».
Par le passé, ils ont également utilisé la cristallographie aux rayons X ou la microscopie électronique pour visualiser des couches uniques d’atomes dans un réseau cristallin. Mais ils étaient incapables d’observer les atomes se mettre en place individuellement.
Un tour de force expérimental pour combler les lacunes
Pour mieux comprendre le processus de cristallisation, Luijten, et ses collègues se sont tournés vers les nanoparticules. Les progrès récents pour améliorer la microscopie électronique à transmission (TEM) en phase liquide ont permis de visualiser les nanoparticules en temps réel lorsqu’elles forment des matériaux solides. L’équipe de Qian Chen, co-auteur de l’étude, s’est chargée d’optimiser le processus pour s’assurer que le faisceau d’électrons puisse permettre de voir les particules sans les endommager.
Les chercheurs ont d’abord visualisé la formation de cristaux avec des simulations informatiques avancées. Ensuite, ils ont réalisé des expériences avec la TEM en phase liquide pour observer les nanoparticules s’autoassembler en temps réel. Ils ont utilisé des nanoparticules de formes différentes — cubes, sphères et cubes en retrait — pour explorer comment la forme affecte le comportement.
VIDÉO : animation illustrant les modes de croissance dans le plan et hors du plan pour les cristaux de nanocubes concaves d’or à l’intérieur d’une chambre de microscope électronique à transmission en phase liquide. (© Erik Luijten et Qian Chen)
Dans les expériences, les chercheurs ont remarqué que les particules se heurtaient les unes aux autres, puis se collaient pour former des couches. La formation de la structure cristalline s’est faite couche par couche, les particules ont d’abord formé une couche horizontale puis se sont empilées verticalement. Parfois, les particules se détachaient brièvement pour combler une couche inférieure.
Luijten explique : « Elles courent le long puis hésitent au bord avant de tomber. C’est comme un plongeur qui hésite au bord d’un plongeoir ». Elle conclut : « En observant les nanoparticules, nous observons des particules plus grosses que les atomes, mais plus petites que les colloïdes. Ainsi, nous avons complété tout le spectre des échelles de longueur ».
VIDÉO : vue au microscope électronique à transmission en phase liquide de la croissance couche par couche d’un cristal à surface lisse à partir de nanocubes concaves en or. Les particules de surface sur le cristal en croissance sont suivies (positions centrales recouvertes de points jaunes). (© Erik Luijten et Qian Chen)
Les chercheurs pensent que ces informations aideront les ingénieurs à concevoir de nouveaux matériaux, notamment de matériaux à couches minces, qui sont souvent utilisés pour produire des composants électroniques flexibles, des diodes électroluminescentes, des transistors et des cellules solaires.