Des chercheurs sont pour la première fois parvenus à effectuer une téléportation quantique à travers une fibre optique encombrée par un trafic internet intense — un exploit d’ingénierie jusqu’ici considéré comme quasi impossible à réaliser. L’équipe a notamment développé une technique permettant d’isoler les photons transportant l’état quantique parmi les millions de photons véhiculant l’information classique. Ces résultats ouvrent la voie à une nouvelle génération de réseaux internet hybrides transportant l’information classique et quantique via une seule et même infrastructure.
La téléportation quantique (ou intrication quantique) constitue une technique prometteuse pour le partage d’informations ultra-rapides et sécurisées entre des utilisateurs distants. Elle consiste à transférer l’état quantique d’un système à un autre, similaire et distant, sans transmission directe. Cela est possible grâce à l’intrication quantique, un phénomène clé au cours duquel deux particules partagent un lien invisible, quelle que soit la distance qui les sépare. Plutôt que de transporter physiquement des informations, les particules intriquées peuvent échanger des données sur de grandes distances, tout en restant à leurs emplacements respectifs.
« En effectuant une mesure destructive sur deux photons – l’un porteur d’un état quantique et l’autre intriqué avec un autre photon – l’état quantique est transféré sur le photon restant, qui peut être très éloigné », explique dans un communiqué de l’Université Northwestern Jordan M. Thomas, l’auteur principal de la nouvelle étude. « Le photon lui-même n’a pas besoin d’être envoyé sur de longues distances, mais son état finit quand même par être codé sur le photon distant », ajoute-t-il. Autrement dit, la téléportation quantique permet l’échange d’informations sur de grandes distances sans que celles-ci aient besoin de parcourir ces distances.
Une seule infrastructure pour deux types d’information
Les fibres optiques sont les principales infrastructures utilisées pour le développement de réseaux de communication quantique. Cependant, la majorité des infrastructures existantes sont déjà encombrées de millions de bits de trafic internet classique. De nombreux chercheurs pensaient alors qu’il serait impossible d’effectuer des téléportations quantiques via les infrastructures existantes, car les photons intriqués seraient « noyés » parmi les millions de photons classiques. C’est un peu comme se déplacer à bicyclette dans un tunnel bondé de poids lourds roulant à grande vitesse.
« Dans les communications optiques, tous les signaux sont convertis en lumière », explique Prem Kumar de l’Université Northwestern, qui a dirigé la nouvelle étude. « Alors que les signaux conventionnels des communications classiques comprennent généralement des millions de particules de lumière, l’information quantique utilise des photons uniques. » La plupart des chercheurs estimaient donc que la communication quantique nécessite de nouvelles infrastructures de fibres optiques spécialement dédiées, ce qui représenterait des coûts financiers considérables pour des déploiements à grande échelle.
Dans le cadre de l’étude détaillée dans la revue Optica, l’équipe de Kumar propose une technique innovante permettant d’isoler les photons intriqués du flux internet classique. Les chercheurs ont réalisé la première démonstration expérimentale d’une téléportation quantique par le biais de fibres optiques existantes, réduisant ainsi considérablement les besoins en matière d’infrastructure de communication quantique.
« C’est très enthousiasmant, car peu de chercheurs pensaient que cela était réalisable », indique Kumar. « Nos travaux montrent la voie vers des réseaux quantiques et classiques de nouvelle génération partageant une infrastructure de fibre optique unifiée. En fait, cela marque une étape importante vers des communications quantiques plus avancées. »
Une transmission réussie malgré un trafic internet intense
La technique de Kumar et son équipe consiste à identifier les longueurs d’onde les moins encombrées des fibres optiques conventionnelles pour placer les photons intriqués. Pour ce faire, les chercheurs ont analysé avec précision la manière dont la lumière est diffusée à travers la fibre, puis placé les photons intriqués au niveau d’un point précis où ce mécanisme de diffusion est minimisé. Des filtres ont été spécialement conçus pour réduire au minimum les bruits du trafic internet conventionnel.
Cela permet d’effectuer une communication quantique sans interférer avec le trafic classique, même lorsque celui-ci est simultanément présent. « Si nous choisissons correctement les longueurs d’onde, nous n’aurons pas besoin de construire de nouvelles infrastructures. Les communications classiques et les communications quantiques peuvent coexister », affirme Kumar.
Pour éprouver leur technique, les chercheurs ont utilisé une bobine de fibre optique de 30,2 kilomètres de long avec un photon placé à chaque extrémité. Ils y ont ensuite diffusé des informations quantiques parallèlement à un trafic internet de 400 gigabits par seconde (Gb/s). La qualité des informations quantiques a été mesurée à la fois au niveau de l’extrémité réceptrice et du point médian du réseau. Les informations quantiques ont été transmises avec succès malgré le trafic internet intense. Les experts estiment même qu’il serait, à terme, possible de prendre en charge plusieurs canaux classiques totalisant des débits combinés de plusieurs térabits par seconde.
En prochaine étape, l’équipe prévoit d’étendre l’expérience sur de plus grandes distances et en utilisant deux paires de photons intriqués au lieu d’une seule. Les experts espèrent également appliquer le protocole à des fibres optiques souterraines réelles plutôt que des bobines en laboratoire.