Upside Foods vient de lancer jeudi la première usine à viande artificielle américaine à Emeryville, en Californie. Cette initiative suit de près l’annonce de Future Meat Technologies, qui avait fait la première mondiale le 24 juin, en lançant son usine de production de viande de laboratoire à proximité de Tel-Aviv. L’objectif d’Upside Foods est double : atteindre un niveau de production de 23 tonnes de viande par an, et prouver au gouvernement américain, qui n’a toujours pas autorisé la vente de viande de laboratoire, que la technologie nécessaire à la commercialisation de cette viande propre est arrivée à maturité.
À l’heure du réchauffement climatique et de la montée en puissance des revendications antispécistes, nombreux sont ceux qui souhaitent vivre leur passion pour la viande en combinant protection de l’environnement et bien-être animal. Problème : l’élevage est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre, et s’accompagne de conditions de vie misérables en élevage intensif pour 80% des animaux consommés en France. L’équation semble insoluble…
Et pourtant, une révolution douce promet de nous faire sereinement manger du steak, et elle vient tout droit des laboratoires : la viande artificielle. Le principe ? Au contraire des substituts végétaux, la viande artificielle repose sur de véritables cellules musculaires animales qui se développent en culture, à partir de cellules souches animales plongées dans une soupe de réactifs.
Il est loin le temps de la présentation au public londonien du premier steak de viande artificielle en 2013, qui avait coûté la bagatelle de 285 000 euros. Le domaine a évolué à vitesse grand V, et se rapproche toujours plus du marché. À l’époque, il fallait toujours sacrifier des veaux pour utiliser leur sérum fœtal dans la préparation de viande artificielle : depuis 2018, ce n’est plus un obstacle nécessaire. Enfin, depuis deux jours, une entreprise majeure du domaine, Upside Foods, possède sa propre usine de viande artificielle. La première d’Amérique.
Une usine en avance sur ses concurrents
Upside Foods est la première entreprise à s’être lancée dans la viande artificielle, en 2015. Alors appelée Memphis Meats, la pionnière a depuis fait peau neuve… et est concurrencée par au moins 80 firmes, qui ont flairé le bon filon. Au vu de l’annonce éclatante de l’ouverture de sa première usine, elle conserve toujours un coup d’avance sur les autres. Mais elle ne va pas rester seule longtemps. Par exemple, la start-up Wildtype devrait cultiver prochainement du saumon artificiel à San Francisco.
Ouverte depuis le 4 novembre, l’usine d’Upside Foods fait partie d’un nouveau campus construit par la société, qui s’étend sur près de 4900 m². « Ce n’est pas un rêve, ce n’est pas de la science-fiction : c’est la réalité, aujourd’hui. », assène Amy Chen, la directrice des opérations de la compagnie Upside Foods pour le journal San Francisco Chronicle. Avec ses énormes cuves alignées dans la pièce principale, l’usine a de faux airs de laboratoire futuriste. C’est ici le cœur de l’activité de l’entreprise : des cellules musculaires animales y sont baignées dans un environnement censé recréer leur environnement cellulaire, avec force glucose, vitamines et acides aminés.
À l’issue de cette première phase de culture, une sorte de masse cellulaire informe mime la structure de la viande hachée. Une étape additionnelle, mais optionnelle, fait appel à une sorte de patron qui permet aux cellules de croître avec des formes et des textures qui rappellent des parties animales — steak, blanc de poulet… Objectif : dans un premier temps, 23 tonnes de viande artificielle par an, puis atteindre un rythme de croisière de 180 tonnes de viande par an, comme son concurrent Future Meat Technologies. C’est un premier pas, mais on est encore loin de soutenir la consommation de viande actuelle d’un pays occidental, comme en témoignent les 1,55 million de tonnes de viande consommées chaque année en France.
Une industrie encore controversée
De plus, tout n’est pas rose dans le business de la viande artificielle et les effets d’annonce dépassent parfois la réalité, comme le rappelle cette récente interview d’un chercheur d’INRAE. Par exemple, malgré de récents progrès ayant complexifié la structure de la viande artificielle, elle ne contient souvent que des cellules musculaires, bien loin de la composition des vrais muscles. Résultat : pauvre en nutriments et en goût, la viande cultivée doit être assaisonnée avec de nombreux ingrédients pour convaincre. De plus, les techniques de croissance de viande de laboratoire ne faisant pas appel au sérum de veau fœtal — et donc à l’abattage d’animaux — ne sont toujours pas adaptées à une production à l’échelle industrielle.
Concernant son impact environnemental, la viande de laboratoire est pour l’instant comprise entre la viande de bœuf, la plus polluante de toutes, et les viandes de poulet et de porc. Son prix, bien qu’en chute libre depuis ses débuts, reste, à 46 euros la lamelle de 5 mm d’épaisseur, bien au-delà des récentes promesses de blanc de poulet à 3,4 euros de Future Meat Technologies. Quant à la réglementation, la viande artificielle est considérée comme un nouvel aliment, et doit donc faire la preuve de son innocuité avant d’être adoptée aux tables européennes et américaines.