Quels étaient les traits distinctifs des premiers animaux ? Cette question alimente un débat scientifique depuis plus d’un demi-siècle, et un grand nombre de chercheurs sont enclins à soutenir l’idée que les éponges sont les pionnières du règne animal. Cependant, de nouvelles informations génétiques incitent à revoir cette hypothèse. De nouvelles découvertes chromosomiques suggèrent que les Cténophores, des créatures à la morphologie singulière, pourraient être les plus anciens représentants du règne animal.
L’évolution de la vie animale sur notre planète a connu une expansion spectaculaire lors de la période dite de « l’explosion cambrienne », survenue il y a plus de 500 millions d’années. Ce fut une période marquée par une évolution rapide et complexe, commençant au précambrien et conduisant à l’émergence de cinq grandes lignées d’animaux : les porifera (ou éponges), les cténophores, les placozoaires (animaux plats microscopiques), les cnidaires (anémones, méduses, hydres…) et les bilatériens (cordés, mollusques, arthropodes et divers vers). Les bilatériens, qui partagent des structures organiques communes, comme une tête et un cerveau centralisé, des muscles, un conduit digestif allant de la bouche à l’anus, etc., incluent la majorité des animaux qui nous sont familiers, allant des insectes volants aux poissons, en passant par les primates.
Toutefois, malgré leur évolution conjointe avec les bilatériens, les porifera et les cténophores possèdent des structures plus simples. Contrairement aux bilatériens, ils ne possèdent pas de cerveau clairement défini et sont parfois dépourvus de système nerveux. Néanmoins, ces deux lignées partagent un grand nombre de caractéristiques avec la plupart des animaux, comme la capacité à développer un corps pluricellulaire à partir d’une seule cellule fécondée.
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Représentants parmi les plus primitifs du règne animal actuel, les éponges adultes passent toute leur vie au même endroit, se nourrissant en filtrant l’eau de mer. Les cténophores, presque aussi primitifs, sont néanmoins dotés d’une capacité de déplacement et de prédation supérieure. Il est important de ne pas les confondre avec les méduses, qui ne sont que leurs parentes éloignées.
Cependant, une question cruciale persiste : qui, de l’éponge ou du cténophore, est apparu en premier ? De nombreuses hypothèses ont été avancées, dont certaines soutenant que les éponges pourraient être les premiers représentants du règne animal. La plupart de ces théories reposent sur la simplicité de leur structure organique et leurs fortes similitudes avec les protozoaires unicellulaires. Ces hypothèses ont cependant été contestées, malgré les tentatives de reconstruction de l’arbre généalogique des deux lignées à travers le séquençage génomique.
« Les résultats d’études complexes basées sur des séquences étaient essentiellement divisés », déclare dans un communiqué Daniel Rokhsar, coauteur de la nouvelle étude et chercheur en biologie moléculaire à l’Université de Californie, à Berkeley. « Certains chercheurs ont fait des analyses bien conçues et ont découvert que les éponges se ramifiaient en premier. D’autres ont fait des études tout aussi complexes et justifiables et en faveur des cténophores. Il n’y a pas vraiment eu de convergence vers une réponse définitive », explique-t-il.
La nouvelle étude, publiée dans la prestigieuse revue Nature, apporte peut-être une réponse définitive à cette question énigmatique, en suggérant que les cténophores occupent la position la plus ancienne de l’arbre généalogique animal. L’étude, qui s’appuie sur l’analyse de la structure chromosomique, stipule que les éponges, suivies de toutes les autres lignées animales, sont apparues ultérieurement. Comprendre la relation évolutive entre ces lignées permettra une meilleure appréhension des caractéristiques biologiques animales, qui ont évolué et se sont diversifiées pendant des millions d’années.
Des créatures qui ont divergé avant l’émergence des éponges
Souvent confondues avec les méduses, les cténophores arborent généralement une forme de cloche et possèdent deux lobes, contrairement aux méduses. Elles sont également dotées de tentacules et de huit rangées de cils mobiles, disposées de chaque côté de leur corps translucide et gélatineux, évoquant les dents d’un peigne. Ces animaux, populaires dans les aquariums, font généralement environ 2,5 centimètres de diamètre.
Afin de déterminer quelle lignée, entre les porifera ou les cténophores, s’est différenciée en premier, les chercheurs ont examiné la disposition de leurs gènes au niveau de leurs chromosomes, une approche relativement innovante. En effet, en plus d’un nombre spécifique de chromosomes, cette disposition est unique à chaque espèce.
Dans une étude précédente, l’équipe de recherche a constaté que les chromosomes des éponges et ceux des cténophores partagent de nombreux gènes communs, malgré plus de 500 millions d’années d’évolution distincte. Cette découverte suggère que l’agencement des gènes au niveau des chromosomes des animaux évolue très lentement.
À partir de là, les chercheurs ont simulé par ordinateur la structure chromosomique que pourrait posséder l’ancêtre commun de ces deux lignées. Cependant, la divergence chromosomique structurelle des cténophores introduit une nouvelle énigme dans l’équation. « Au début, nous ne pouvions pas dire si les chromosomes des cténophores étaient différents de ceux des autres animaux simplement parce qu’ils ont beaucoup changé au cours de centaines de millions d’années d’évolution », explique Rokhsar. D’autre part, ils pourraient également être différents parce que les cténophores se sont différenciés avant toutes les autres lignées du règne animal.
Pour étayer leur hypothèse, les scientifiques ont séquencé les génomes d’autres cténophores et éponges, ainsi que de trois autres organismes unicellulaires non-animaux (un choanoflagellé, une amibe filastérée et un ichthyospore). Le résultat a été révélateur : les cténophores et les non-animaux partagent des arrangements spécifiques de gènes au niveau de leurs chromosomes. Par contre, l’arrangement des chromosomes des éponges et celui des autres animaux est fondamentalement différent. Cette différence suggère que la lignée des cténophores s’est ramifiée dans l’arbre animal bien avant les éponges et les autres animaux. « Nous avons trouvé une relique d’un signal chromosomique très ancien, qui soutient fortement le scénario cténophore ramifié », déclare Rokhsar.