Real Ice, une start-up britannique spécialisée en géoingénierie, propose de préserver la banquise arctique en utilisant un système de pompage d’eau de mer. La température de l’air permettrait de geler l’eau pompée à la surface, provoquant ainsi un épaississement de la glace. Les premiers essais effectués en mai de cette année semblent prometteurs, avec une augmentation de l’épaisseur de la banquise de près de 50 centimètres.
L’étendue de la banquise diminue de manière accélérée en raison du réchauffement climatique. Les données satellites ont montré qu’elle a diminué de 3,5 à 4,1 % par décennie entre 1979 et 2012. Au cours des dernières années, l’Arctique ne comptait plus que 3,3 millions de kilomètres carrés de banquise les mois de septembre (en moyenne).
Les modèles climatiques actuels prédisent avec une grande fiabilité que l’Arctique sera libre de glace d’ici 2030. À noter que le terme « libre de glace » ne signifie pas une disparition totale de la banquise, mais une superficie de moins d’un million de kilomètres carrés. Cela représente moins de 20 % de la couverture saisonnière minimale dans les années 1980 et constitue le minimum requis pour l’équilibre climatique et écosystémique local.
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Real Ice a développé sa technologie de géoingénierie afin de ralentir, voire potentiellement inverser cette perte. « L’idée est que plus la glace est épaisse [à la fin de l’hiver], plus elle survivra longtemps lorsque nous entrerons dans la saison de fonte », explique à la BBC Andrea Ceccolini, chercheur chez Real Ice. Bien qu’a priori insensée, la technique a montré des résultats prometteurs lors des premiers essais effectués cette année dans l’Arctique canadien.
Un épaississement de 50 centimètres en 5 mois
Proposée pour la première fois par Steven Desch, un chercheur de l’Université d’État d’Arizona, la stratégie de Real Ice consiste à forer la banquise naturelle jusqu’à atteindre la mer, puis à pomper de l’eau (1 000 litres par minute) afin de la répandre au-dessus de la glace. En étant exposée à l’air froid (entre -45 et -30 °C en hiver), cette eau gèle presque instantanément, transformant ainsi la neige déposée à la surface de la banquise en glace. Cela permettrait également d’augmenter la conductivité thermique de la banquise, en induisant notamment la migration de l’air froid vers le bas, enclenchant ainsi la génération d’une couche de glace supplémentaire au niveau de sa surface interne.
Plus précisément, les ingénieurs de Real Ice prévoient d’inonder la banquise d’eau de mer au début de l’hiver, afin de créer une couche de glace supplémentaire et retirer la couche de neige isolant la banquise de l’air froid en surface. En revanche, à la fin de l’hiver, le forage projettera des aérosols d’eau de mer afin de reformer une couche de neige et ainsi protéger la banquise des radiations solaires plus intenses en été.
L’expérience réalisée cette année a été effectuée dans la baie de Cambridge, sur l’île Victoria, dans l’Arctique canadien. La banquise test avait une surface équivalente à celle d’un terrain de football. L’entreprise affirme que l’opération a permis d’épaissir la banquise de 50 centimètres entre janvier et mai, par rapport à un site témoin. Elle a également permis une croissance de 25 centimètres de glace au niveau de la surface intérieure de la banquise.
En outre, la saumure subsistant après le gel de l’eau de mer propagée à la surface s’infiltre à l’intérieur de la banquise pour retourner à nouveau dans l’océan, ce qui permettrait de préserver davantage la glace nouvellement formée. En effet, la présence de cette saumure en surface fragiliserait la banquise et pourrait induire une fonte précoce en été.
Un budget de 6 milliards de dollars par an pour 1 million de kilomètres carrés de banquise
D’après les calculs de Desch et ses collègues, en étant déployée à grande échelle, cette technique permettrait un épaississement de 10 % de la banquise arctique, ce qui permettrait potentiellement d’inverser sa perte et éviter de rendre la région libre de glace — en attendant une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre. Elle permettrait également de préserver l’albédo de la région, le taux auquel la banquise réfléchit le rayonnement solaire vers l’espace — empêchant ainsi un réchauffement supplémentaire.
Pour cette mise à l’échelle, Real Ice prévoit de déployer des drones sous-marins pouvant forer la glace par en dessous et pouvant couvrir chacun une surface de 2 kilomètres carrés de banquise. Il faudrait ainsi près de 500 000 drones pour fournir 500 kilomètres cubes de glace de mer supplémentaires chaque hiver, sur une superficie de 1 million de kilomètres carrés – un déploiement qui nécessiterait un budget de 6 milliards de dollars par an, selon l’entreprise. Cette dernière a déjà conclu un partenariat avec l’Institut de biorobotique de l’École supérieure Sant’Anna de Pise, en Italie, pour concevoir les drones. L’objectif est de disposer d’un premier prototype d’ici 2025 et de le déployer en Arctique au cours de l’hiver 2026-2027.
Un risque de dévier du véritable objectif climatique ?
Cependant, les observateurs demeurent sceptiques quant à la viabilité de la stratégie. Bien que Real Ice affirme que la saumure migre vers le bas lorsque l’eau de mer gèle à la surface, la glace salée pourrait toujours fondre plus rapidement que la banquise naturelle en été. Cela pourrait avoir des conséquences imprévues sur l’écosystème local. D’autre part, la perte de couverture neigeuse pourrait impacter la faune locale, qui l’utilise notamment pour creuser des tanières.
Le déploiement à l’échelle de l’Arctique entier constitue en outre un défi logistique en soi. L’impact énergétique d’un projet d’une telle envergure inquiète également les chercheurs, mais l’entreprise prévoit d’utiliser de l’hydrogène comme carburant. Toutefois, le risque le plus important est que ce type d’alternative provisoire puisse détourner l’attention de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui reste le seul moyen de préserver l’équilibre climatique mondial, estiment les experts.
Néanmoins, l’entreprise prévoit de poursuivre les essais dans la baie de Cambridge ce mois de novembre, en effectuant 5 forages couvrant un kilomètre carré de banquise. L’objectif est de confirmer dans quelle mesure la banquise peut s’épaissir en étant traitée au début de la saison hivernale.