La première détection de méthane sur Mars en 2004 avait suscité l’intérêt de toute la communauté scientifique. Toutefois, les résultats ne pouvaient être qu’accueillis avec des pincettes étant donné qu’il était alors impossible de rejeter l’hypothèse d’une erreur de mesure des capteurs. Aujourd’hui, le doute n’est plus de mise : une seconde détection indépendante de méthane martien confirme définitivement la présence de la molécule sur la planète rouge.
Le 16 juin 2013, un jour avant que Curiosity ne détecte du méthane dans la même région, la mission Mars Express de l’Agence spatiale européenne, en orbite autour de la planète rouge, a capté des traces de la molécule à proximité du cratère Gale — la région explorée par Curiosity. D’autres instruments avaient détecté du méthane sur Mars, mais c’est la première fois que deux équipements distincts détectent du méthane (CH4) dans la même région, au même moment.
« En dépit de diverses détections rapportées par des groupes séparés et des expériences différentes, et bien que des mécanismes plausibles aient été proposés pour expliquer l’abondance, la variabilité et la durée de vie observées du méthane dans l’atmosphère martienne actuelle, le débat sur le méthane divise toujours la communauté scientifique » déclare Marco Giuranna, astrophysicien à l’Istituto Nazionale di Astrofisica (Italie).
« Avant notre étude, les détections de méthane sur Mars n’étaient pas confirmées par des observations indépendantes. Cette dernière découverte constitue la première confirmation indépendante d’une détection de méthane ». Cela rend les détections précédentes plus difficiles à expliquer comme un biais de mesure, une résolution spectrale médiocre, ou même — comme cela avait été proposé — du méthane qui faisait partie de Curiosity pour commencer.
Détection de méthane sur Mars : un long et minutieux travail d’analyse des données
Sur Terre, une grande quantité de méthane existe — environ 1800 parties par milliard en volume (ppbv) dans l’atmosphère en 2011, dont 90 à 95% sont générées par des créatures vivantes ou décédées. Certains processus géologiques peuvent générer du méthane de manière abiotique. Sur les géantes gazeuses telles que Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, une grande quantité de méthane est produite par des processus chimiques.
Pluton possède de la glace de méthane. La lune de Saturne Titan a des lacs de méthane liquide. Ce n’est donc pas une molécule rare dans le Système solaire. Sur Mars également, la concentration globale est minuscule par rapport à celle de la Terre — elle est périodique, avec une moyenne globale de seulement 10 ppbv.
L’orbiteur de Mars Express avait déjà détecté du méthane, en 2004, à l’aide du Planetary Fourier Spectrometer (PFS). C’est cet instrument qui a également effectué la détection de 2013, mais, cette fois-ci, avec de nouvelles techniques d’observation et d’analyse, augmentant la fiabilité des résultats.
« En raison de sa faible absorption, de son abondance relativement faible et de sa grande variabilité spatio-temporelle, les analyses quantitatives de CH4 avec PFS nécessitent une attention particulière concernant la manière dont les spectres sont collectés, traités et analysés » explique Giuranna.
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En outre, l’équipe a mis au point une nouvelle approche pour sélectionner et extraire des données du PFS, en les analysant à l’aide de méthodes améliorant la précision et en réduisant les incertitudes statistiques. Le traitement des données a nécessité un long travail — c’est pourquoi le résultat n’est publié que maintenant, près de six ans après la détection. Mais ce travail laborieux —publié dans la revue Nature Geoscience — a porté ses fruits, car maintenant les scientifiques savent où regarder pour traquer le méthane.
Une libération cyclique de méthane d’origine géologique ?
Selon les chercheurs, des événements tectoniques transitoires dans une région de faille près du cratère Gale sont le lieu le plus probable du dégagement de méthane. Cela pourrait aussi expliquer pourquoi il disparaît et réapparaît de cette manière.
Ce processus est bien connu sur Terre pour se produire le long de failles tectoniques et de champs de gaz naturel, avec différentes intensités de libération. Par exemple, sur Terre, les émissions de gaz des volcans en activité sont généralement continues avec des variations de fond, mais aussi avec de fortes rafales soudaines, tandis que d’autres fuites peuvent libérer des gaz par intermittence.
Le dégagement épisodique de gaz, c’est-à-dire généralement une longue période de repos sans émission entre de forts dégagements de courte durée, est typique de l’expulsion de gaz provenant de petites fuites ou de séismes. Sur Mars, des expulsions de gaz épisodiques pourraient également être créées lors d’un impact de météorite, libérant du gaz emprisonné sous la surface.
« Le terrain accidenté d’Aeolis Mensae est en contact avec la région de la formation Medusae Fossae (MFF) et à proximité immédiate des endroits où il est proposé que la MFF contienne de la glace peu profonde » indique Giuranna. « Puisque le pergélisol est l’un des meilleurs joints pour le méthane, il est possible que de la glace en vrac dans la MFF puisse piéger et sceller le méthane sous la surface ».
« Ce méthane pourrait être libéré de manière épisodique le long de failles traversant le pergélisol en raison de la fonte partielle de la glace, de l’accumulation de pression de gaz induite par l’accumulation de gaz au cours de la migration, ou de contraintes dues aux ajustements planétaires ou aux impacts locaux de météorites ».
L’hypothèse microbienne n’est pas exclue pour autant. Le méthane généré par des bactéries pourrait être piégé dans des structures de glace en réseau appelées clathrates. et relâché ensuite dans l’atmosphère par dégazage. D’autres données seront nécessaires pour contraindre l’origine du méthane et appréhender le ou les mécanismes qui en sont à l’origine.